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somme, il n’a fait que formuler la résistance instinctive que notre entendement oppose tout d’abord à une décomposition de ce genre.

Mieux vaut donc commencer par les objets terrestres. On constate aisément que les corps doués d’un mouvement rectiligne et uniforme par rapport à la terre, comme le sont, par exemple, tous ceux qui se trouvent à bord d’un navire, se comportent absolument comme ceux qui sont en repos à l’égard du sol. D’ailleurs, ce repos n’est qu’apparent. La considération des mouvements des corps célestes nous force à supposer que la terre se déplace dans l’espace avec une vitesse considérable et tout ce qui se trouve sur notre planète doit, en réalité, décrire dans l’espace des courbes fort compliquées. Mais les rayons de courbure de ces lignes sont très grands ; pour le mouvement dont le rayon de courbure est le plus réduit, la rotation de la terre, nous parvenons encore à constater des effets sensibles ; mais, en les constatant, nous pouvons les éliminer. Nous pouvons donc, sans risque d’erreur appréciable, considérer les chemins décrits par les objets terrestres comme des droites, et c’est au mouvement uniforme en ligne droite qu’appartiennent par conséquent les propriétés que nous attribuions au repos. C’est le principe d’inertie en totalité, tel que le formule d’Alembert, car la composition des mouvements en découle directement.

Mais si le principe d’inertie est susceptible d’être considéré comme une vérité d’expérience, est-ce vraiment comme telle qu’il apparaît à notre entendement, qu’il force notre assentiment ? N’y a-t-il pas quelque chose de véritablement étrange dans le fait que des hommes aussi éminents que ceux dont nous avons évoqué les noms aient pu s’y tromper ?

Nous pouvons d’abord constater que la démonstration, telle que nous venons de la présenter, n’était pas possible à l’époque où le principe fut établi, ou du moins qu’elle fut alors incomplète. On ne pouvait faire valoir le mouvement des corps célestes qui contribue tant chez nous à raffermir l’idée, paradoxale en apparence, que le mouvement est quelque chose de perpétuel, alors que nous voyons tout mouvement terrestre s’éteindre rapidement ; on ne pouvait même pas s’appuyer sur ce fait que les objets terrestres devaient être considérés comme en état de mouvement uniforme et rectiligne. Sans doute Galilée était copernicien, et Descartes aussi, bien qu’il ait quelquefois usé d’expressions ambiguës.