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dans la matière elle-même. Nous avons vu qu’il n’existe aucun moyen de rendre intelligible le choc de deux corps ; et, quant à la force à distance, ce n’est qu’un être mystérieux. Si un corps possède cette faculté incompréhensible d’agir sur un autre à travers l’espace, pourquoi ne se mettrait-il pas en mouvement lui-même ? « Un des caractères les plus généraux de la matière est de pouvoir, dans des circonstances propices, se mettre elle-même en mouvement », a dit un physiologiste connu pour son ferme attachement aux doctrines matérialistes[1]. Mais nous pouvons confirmer le résultat auquel nous sommes parvenus par des considérations un peu abstraites, en analysant de plus près certaines conceptions de la physique moderne.

Il n’existe rien d’immobile dans la nature. Non seulement tous les corps sont en mouvement, mais encore leurs parties sont en état d’agitation continuelle. Voici une masse d’eau dans un vase ; elle semble en repos. Mais il suffit qu’une ouverture baille au-dessous du niveau de la surface, pour que le tout se mette en mouvement. Si nous voulons comprendre quoi que ce soit à ce phénomène, nous sommes bien obligés de supposer que le repos n’était qu’apparent, qu’à l’intérieur de l’espace rempli par l’eau le mouvement existait déjà précédemment, bien qu’il fût invisible.

Cette agitation des parties nous échappe d’ordinaire ; quelquefois elle ne se manifeste à nous que sous forme d’une énergie, telle que la chaleur : mais M. Gouy nous a appris à la rendre directement sensible à l’œil sous la forme du mouvement brownien. D’ailleurs, tout corps est une source continuelle de mouvement pour tout ce qui l’entoure, puisqu’il rayonne sans cesse de la chaleur. Si nous ne nous en apercevons point, c’est parce qu’il reçoit autant de mouvement qu’il en dépense. Ainsi l’immobilité, même relative, n’est qu’apparente et la matière inerte n’est qu’une abstraction irréalisable. Il n’y a donc rien de contradictoire à ce qu’elle manifeste, à un moment donné, du mouvement, à peu près comme une bille qui est susceptible de transformer son « effet » en translation[2] ; et c’est bien à peu près de cette manière que nous

  1. Moleschott. La circulation de la vie, trad. Gazelles. Paris, 1866, p. 96. On peut rapprocher de l’affirmation de Moleschott cette incidente de Maupertuis, Cosmologie, Œuvres. Lyon, 1756, vol. I, p. 33 : «… quoiqu’il fût absurde de dire qu’une partie de la matière qui ne peut se mouvoir elle-même, en pût mouvoir une autre. »
  2. On sait que la théorie de la matière du Dr Gustave Le Bon est entiè-