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renferme la demeure au même lieu ; cela arrive bien lorsque le corps est en repos ; mais lorsqu’il se meut avec la même vitesse et selon la même direction, on dit également qu’il demeure dans le même état quoiqu’il change de lieu à tout moment[1]. » Mais la position, le lieu, nous apparaissent certainement comme des choses plus réelles que la vitesse et même que la direction. Il convient, en effet, de le remarquer : ces deux éléments essentiels du principe d’inertie sont équivalents ; nous avons vu que, dans les démonstrations aprioriques, on se préoccupe de la vitesse alors que le maintien de la direction est considéré comme n’ayant pas besoin de preuve. Ce sentiment a été quelquefois formulé expressément par des physiciens : Laplace[2] et Poisson[3] estimaient que le principe d’inertie devait être considéré comme étant a priori en ce qui concerne la direction et a posteriori en ce qui a trait à la vitesse. Mais il s’en faut de tout que l’idée de direction rectiligne fasse réellement partie intégrante de notre concept du mouvement. On sait qu’au contraire Aristote et toute la physique jusques et y compris Copernic et Galilée ont accepté tacitement l’idée qu’un corps en mouvement qui commençait à changer de direction devait continuer à en changer, le rayon de courbure restant constant : car c’est là apparemment, traduit en langage moderne, l’idée fondamentale du mouvement naturel circulaire des corps célestes. Rappelons-nous d’ailleurs combien nous avons été choqués d’apprendre qu’un projectile, lancé par une fronde, suit la tangente du cercle qu’il décrivait : c’est que sans doute nous n’avions pas du tout, précédemment, le sentiment que la vitesse du projectile à chaque moment est rectiligne et dirigée suivant la tangente[4]. L’astronome moderne voit pour ainsi dire la lune en train de tomber sans cesse sur la terre, et un corps tournant avec une vitesse uniforme dans un cercle apparaît au physicien comme subissant une accélération. Mais c’est là, ainsi que le remarque Duha-

  1. L. Euler. Lettres à une princesse d’Allemagne. Paris, 1812, vol. I, p. 322.
  2. Laplace. Mécanique céleste, Œuvres. Paris, 1878, § 9.
  3. Poisson. Traité de mécanique, 2e éd. Paris, 1833, p. 207.
  4. On sait que les astronomes ont longtemps cherché une force qui fit mouvoir les planètes (cf. Appendice III, p. 417, ss). Borelli en 1666 émit le premier l’idée qu’elles se déplaçaient simplement sous l’action de l’inertie, combinée avec une force centripète, dirigée vers le soleil. Cf. Rosenberger, l. c., vol. II, p. 166 et Duhem. La théorie physique, p. 407-408.