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cité), constitue au contraire une conception paradoxale et à laquelle notre entendement se plie difficilement.

Le principe d’inertie stipule le maintien de la vitesse rectiligne. La vitesse, c’est l’espace parcouru dans l’unité du temps, ou, si l’on veut, c’est le quotient de l’espace parcouru par le temps écoulé, l’un et l’autre étant mesurés par des unités arbitraires : V = e/t.

Ces définitions sont exactes, à condition toutefois qu’on se rappelle que les termes temps et espace sont pris ici dans un sens particulier. Espace signifie chemin, c’est-à-dire longueur d’une ligne limitée par deux points, et temps, espace de temps, c’est-à-dire durée comprise également entre deux limites précises. C’est là la conception naturelle, seule conforme à notre sentiment immédiat. Et l’on voit à quel point il est paradoxal de stipuler que la vitesse, notion dérivée, abstraite, déduite à l’aide de celle de limite, persistera au delà de toute limite. Il y a là, à n’en pas douter, quelque chose de choquant pour notre entendement. Mouvement à l’origine veut dire déplacement ; jusqu’à Galilée et Descartes, on l’a toujours compris de cette manière. Aristote l’assimilait à un changement : on peut voir que dans les théories les plus récentes et les plus élevées de la dynamique chimique, celles qui se rattachent aux travaux de M. Gibbs, nous sommes en train de retourner partiellement à ces doctrines[1]. Mais le changement s’opère entre des limites ; aussi le mouvement, quand il se faisait en ligne droite, était-il toujours conçu comme dirigé vers un but. « Il n’y a pas de changement qui soit éternel, dit Aristote en parlant du mouvement, parce que naturellement tout changement va d’un certain état à un certain état ; et, par une conséquence nécessaire, tout changement a pour limite les contraires dans lesquels il se passe[2]. » « L’impulsion n’est que le mouvement partant du moteur même ou d’un autre et allant vers un autre[3]. »

Cette conception, assimilant le déplacement, le changement de position, à un changement, est tout à fait conforme à notre sentiment naturel. Les physiciens la combattront quand il s’agira d’établir la notion de l’inertie. « Il ne faut pas s’imaginer, dit Euler, que la conservation de l’état dans un corps

  1. Duhem. L’évolution de la mécanique. Paris, 1903, pp. 10-11, 218-219.
  2. Aristote. Physique, l. VIII, chap. II, § 2.
  3. id. Traité du Ciel, l. III, chap. II, § 2.