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ce principe primordial et nous abstenons d’introduire dans nos conceptions des complications inutiles, on peut affirmer que nous créons une convention. Mais c’est que cette convention est alors une loi générale de notre pensée et qu’elle est au fond de toutes nos propositions sans exception. Elle est sous-entendue, cela va sans dire, mais il n’y a aucune utilité à en faire ressortir l’emploi dans un cas comme celui-ci.

Une proposition très différente de celle de MM. Streintz et L. Lange a été présentée antérieurement par Carl Neumann[1]. Neumann admet l’existence d’un corps qu’il appelle Alpha et qui, situé quelque part dans l’espace, demeure complètement immobile. Tout mouvement se rapportant à ce corps, devient par ce fait réellement absolu, même s’il s’accomplit uniformément et en ligne droite. Une conception analogue avait été formulée par Euler[2] qui appelait ce corps A, et antérieurement encore par Newton, qui l’avait rejetée après examen[3]. Il n’est pas difficile de se rendre compte de ses motifs : à supposer que ce corps immobile existe, comme il nous est inaccessible, il ne peut nous rendre aucun service au point de vue de nos déterminations. Cela est incontestable, et, au point de vue pratique, un système comme celui de M. Streintz est préférable. Mais la proposition de Neumann rend pour ainsi dire tangible cette constatation que c’est bien l’espace absolu qui se retrouve au fond de nos formules du mouvement. Ce qui tend à masquer cette vérité, c’est que, par suite de l’inertie, nous ne pouvons assigner au déplacement uniforme et rectiligne qu’une valeur relative. Mais il est clair, au point de vue de la logique pure, que si nous devons concevoir l’espace comme absolu à certains égards et relatif à d’autres, c’est bien la première de ces conceptions qui doit prévaloir sur la seconde. En effet, il est impossible de construire de l’absolu avec du relatif ; mais l’absolu peut fort bien momentanément apparaître comme un relatif, par suite de l’insuffisance de nos connaissances. — Il est presque superflu de faire ressortir, d’ailleurs, que la notion de l’espace absolu ne répugne aucunement à notre imagination. Nous avons vu qu’elle a dominé la science jusqu’à l’instauration du principe d’inertie et nous avons cer-

  1. Neumann, l. c.
  2. Euler, l. c., § 99.
  3. Newton, l. c., p. 8.