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est certainement plus répandue[1] ; elle est, pour ainsi dire, courante dans l’exposé des principes de la science. Ce n’est pas que l’argumentation de Newton ait été valablement réfutée. Mais on éprouve, dirait-on, une répugnance intime à en admettre les conséquences. Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner la formule du principe d’inertie telle que nous l’avons citée d’après d’Alembert. Qu’est-ce que le corps en repos dont il est question dans la première partie ? Tous les corps que nous connaissons sont en mouvement, y compris les étoiles fixes ; cet énoncé serait donc inapplicable, et par suite inutile. La seconde partie du principe, nous garantissant la continuation du mouvement uniforme en ligne droite, c’est-à-dire du repos apparent, nous rendrait dès lors les services que nous attendions de la première, et il faudrait y ajouter une formule concernant la composition des mouvements pour remplacer la deuxième partie actuelle. Les termes « repos » et « mouvement », dans l’énoncé actuel du principe, ne sauraient donc signifier autre chose que repos et mouvement apparents, relatifs aux corps voisins. Mais on retrouve cette formule relativiste chez les partisans de l’espace absolu, même chez Newton[2]. D’ailleurs, à côté de ces termes semblant impliquer la relativité du mouvement, le même énoncé de d’Alembert en contient un autre qui a un sens contraire. Qu’est-ce, en effet, que la ligne droite dans laquelle le corps se mouvra, selon l’expression de d’Alembert ? Comment s’y prendra-t-on pour la déterminer, par rapport à quel objet ou à quel ensemble d’objets ? Un mouvement qui, vu de la terre, semblerait se faire en ligne droite, paraîtrait curviligne vu du soleil, ainsi que l’a fort justement remarqué C. Neumann[3]. Par le fait, personne ne doute qu’un mouvement qui se fait en vertu de l’inertie ne soit entièrement indépendant du mouvement du corps céleste dans le voisinage duquel il se produit et que cette ligne droite ne soit orientée par des points de repère se rattachant à la « voûte céleste » ; l’espace nous apparaît à cet

    5e année, 1905, p. 27 ss. — Cf. aussi Henri Bergson, Matière et Mémoire, Paris, 1903, p. 214.

  1. Sans doute, M. H. Poincaré a formulé l’opinion générale des physiciens contemporains en affirmant que le fait qu’on peut mesurer la vitesse de rotation absolue « choque le philosophe », mais que le physicien est forcé de l’accepter (Des fondements de la géométrie, Revue de métaphysique, vol. VII, 1899, p. 269).
  2. Newton, l. c., p. 17.
  3. Neumann, l. c., p. 14.