Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de M. Mach ne saurait-elle infirmer la démonstration de Newton. Mais elle montre clairement, à notre avis, qu’on peut dissocier complètement cette démonstration de toute idée métaphysique sur l’espace.

En revanche, nous voyons maintenant que des déductions dans le genre de celles que nous avons tentées plus haut, en partant de l’espace vidé de corps, ne sauraient nous être d’aucun secours au point de vue de la démonstration du principe d’inertie. Dans l’espace privé de points de repère, cela va sans dire, tout mouvement apparaîtra comme relatif. Quelles que soient les trajectoires que décrivent les deux corps, nous pourrons toujours les remplacer par un mouvement de l’un d’eux. Mais nous savons que, si nous passons à l’espace physique, le mouvement uniforme en ligne droite restera relatif et le mouvement de rotation deviendra absolu. Nous pourrons, pour deux corps qui se rapprochent, attribuer le mouvement indifféremment à l’un ou à l’autre ; mais une toupie qui tourne sur une table restera debout : elle tomberait si nous essayions de la maintenir immobile, en donnant à la table un mouvement de rotation contraire. Cette différence entre le mouvement en ligne droite et la rotation fait partie intégrante du principe d’inertie, et elle est inexplicable par des considérations sur l’espace vidé[1].

Il est très curieux que la conception de Newton, en dépit de l’immense autorité qui s’attache à son nom, ne soit pas parvenue à s’imposer complètement dans la science. Sans doute, bien des savants l’ont adoptée dans la suite, tels Euler (qui l’a exposée avec beaucoup de vigueur dans sa Theoria motus[2]), Poinsot[3], Neumann[4], pour ne citer que ces quelques noms illustres, et on la retrouve quelquefois formulée par nos contemporains[5]. Mais la conception de la relativité de l’espace

  1. On pourrait affirmer, à la rigueur, que l’instauration intégrale du principe d’inertie, dans le sens que nous lui donnons actuellement, ne date que de cet exposé de Newton, Descartes, nous l’avons vu, ayant considéré la rotation de la terre comme un mouvement relatif.
  2. L. Euler. Theoria motus. Rostock, 1765, chap. II, § 78 ss.
  3. Poinsot. Théorie nouvelle de la rotation des corps. Paris, 1852, p. 51.
  4. Carl Neumann. Ueber die Principien der Galilei-Newton’schen Theorie. Leipzig, 1870.
  5. Cf. par exemple Lodge, dans Nature, vol. LVII, 1894 ; A. B. Basset ib. ; Andrade. Les idées directrices de la mécanique. Revue philosophique, vol. XLVI, 1898, p. 400, et surtout Painlevé. Les axiomes de la mécanique et le principe de causalité. Bulletin de la Société française de philosophie,