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derne) que l’espace n’existe pas en soi. Son argumentation se trouve complètement ruinée par la démonstration de Newton. Faut-il en conclure que la thèse métaphysique contraire soit dorénavant établie ? Newton lui-même l’a probablement pensé[1] et, en tout cas, les philosophes ont souvent donné ce sens à ses déclarations. Il n’y a cependant là aucune liaison logique nécessaire. Nous pouvons même nous dispenser d’examiner si, en supposant que les corps qui indiquent l’orientation du système de coordonnées jouent simplement le rôle de points de repère, la thèse de l’existence de l’espace pourrait se prévaloir de l’argument de Newton. Il n’est pas non plus nécessaire, en parlant du mouvement absolu, de le concevoir au point de vue philosophique et d’attribuer au mobile, selon la juste expression de M. Bergson, « un intérieur et comme un état d’âme[2] ». C’est qu’en effet nous pouvons attribuer les propriétés de l’espace garni de corps, non pas à l’espace, mais aux corps. Cette interprétation, qui se dessine déjà chez Berkeley[3], fait le fond de l’argumentation de M. Mach contre les idées de Newton. Le fait que le mouvement rotatoire de l’eau se rapporte aux corps de la voûte céleste et non pas aux parois du vase, nous dit ce savant, pourrait fort bien tenir à ce que les parois ne présentent qu’une masse infime comparée à celle des corps célestes. « Personne ne pourrait dire ce que l’expérience aurait donné si la paroi du vase avait été rendue plus épaisse et plus massive jusqu’à avoir une épaisseur de plusieurs lieues[4]. » On pourrait, sans doute, au point de vue expérimental, objecter qu’aucune expérience ne nous permet de conclure à l’influence de l’épaisseur des parois sur le mouvement rotatoire de l’eau dans un vase. Aussi l’argumentation

  1. Newton paraît avoir adopté dans cette question les idées de Henry More sur la réalité de l’espace vide. Cf. à se sujet Ludw. Lange, Die geschichtliche Entwicklung des Bewegungsbegriff’s, etc. Leipzig, 1886, p. 44.
  2. Henri Bergson. Introduction à la métaphysique. Revue de Métaphysique, XI, 1903, p. 2.
  3. Berkeley. De motu, Works, éd. Fraser. Londres, 1871, vol. III, § 69. « Concipiantur porro duo globi, et praeterea nil corporeum, existere. Concipiantar deinde vires quomodocunque applicari : quicquid tandem per applicationem virium intelligamus, motus circularis duorum globorum circa commune centrum nequit per imaginationem concipi. Supponamus deinde cœlum fixarum creari : subito ex concepto appulsu globorum ad diversos cæli istius partes motus concipietur. »
  4. E. Mach. La mécanique, trad. Émile Bertrand. Paris, 1904, p. 225. M. Mach, il est vrai, s’affirme partisan de la relativité de l’espace, mais c’est dans un sens très particulier. L’idée qu’il rejette revient à celle que nous avons qualifiée d’espace absolu métaphysique.