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de telles translations[1]. » Ce sont là, d’après Newton, « les effets par lesquels on peut distinguer le mouvement absolu du mouvement relatif » et l’exposé qui précède sert d’appui à cette affirmation dont la netteté ne laisse rien à désirer : « L’espace absolu, sans relation aux choses externes, demeure toujours similaire et immobile[2]. » C’est, on le voit, la contrepartie exacte des idées de Descartes et aussi de celles de Kant.

Mais, au point de vue qui nous occupe en ce moment, l’exposé de Newton est réellement décisif, en ce sens qu’il nous éclaire sur les motifs de l’hésitation que nous avons éprouvée au sujet de la relativité du mouvement de rotation ; par contrecoup nous voyons aussi la véritable source de notre certitude concernant la relativité du mouvement rectiligne. Nous avons cru la déduire de considérations abstraites sur l’espace que nous avions, artificiellement, vidé de tout contenu physique pouvant déterminer des points de repère. Mais, en réalité, notre mémoire avait conservé l’image de l’espace tel que nous le voyons, de l’espace physique, garni de corps ; et si nous avons répondu sans hésitation pour le mouvement rectiligne c’est que ce mouvement, dans l’espace physique, est réellement relatif. Le mouvement extrêmement rapide avec lequel la terre se déplace dans l’espace reste absolument sans influence sur les mouvements des masses terrestres pondérables : c’est là précisément la raison pour laquelle le premier de ces mouvements est si difficile à déterminer. Mais le mouvement de rotation diurne, infiniment plus lent, peut très bien être rendu sensible par des phénomènes terrestres tels que le pendule de Foucault. Il ne se rapporte pas au système solaire, ni à aucun autre système limité et que nous puissions préciser. Il se rapporte à la voûte céleste, c’est-à-dire à la totalité des corps de l’univers dans leurs dispositions spatiales, c’est-à-dire encore à l’espace absolu, comme l’a bien dit Newton.

Remarquons cependant que le terme espace signifie ici espace physique, espace garni de corps. Il importe, en effet, de dissocier complètement les considérations que nous venons d’exposer d’avec les conceptions métaphysiques sur l’existence ou la non-existence en soi de l’espace. Ce n’est pas là une précaution inutile. Nous avons vu que Sextus Empiricus déjà s’est servi de la relativité du mouvement en ligne droite pour établir (s’il est permis d’exprimer ses idées en langage mo-

  1. Newton. Principes, trad. Du Chastellet. Paris, 1759, p. 13.
  2. Ib., p. 8.