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Mais, et cela est très essentiel, il ne s’ensuit point que l’objet en train de se déplacer, l’objet en mouvement, soit identique à l’objet en repos. Notre sentiment intime, fortifié par une longue expérience, proteste contre une telle affirmation. Pour choisir un exemple : je sais fort bien que ce boulet de canon, en quelque lieu de l’espace que je le porte, présentera les mêmes propriétés. Mais quand il aura été lancé d’une bouche à feu, et qu’il sera en train de parcourir l’espace avec une vitesse de plusieurs centaines de mètres à la seconde, ses propriétés seront considérablement modifiées et je n’aurai garde de le toucher comme je le fais quand il est au repos. Descartes, bien après qu’il eut proclamé le principe d’inertie et en eut reconnu toute l’importance, persistait cependant à croire qu’une force devait agir autrement sur un corps en mouvement et sur un corps en repos et que son action devait même dépendre de la vitesse avec laquelle le corps était en train de se déplacer[1].

Mais est-il exact que le mouvement, comme le pose Descartes « en sa propre signification ne se rapporte qu’aux corps qui touchent celui qu’on dit se mouvoir » ?

On ne saurait douter que Descartes appliquait parfois ce principe aussi bien au mouvement de rotation qu’à celui de translation. On sait que, d’après sa théorie, la terre serait entourée de la « matière du ciel » et Descartes établit que si les deux avaient le même mouvement rotatoire, on devrait considérer la terre comme « un corps qui n’a aucun mouvement et où, par conséquent, les effets de la force centrifuge ne sauraient se faire sentir[2] ».

Supposons deux corps absolument isolés dans l’univers et doués d’un mouvement uniforme en ligne droite. Leurs mouvements nous apparaissent comme relatifs, car nous pouvons indifféremment considérer l’un d’eux comme immobile, en attribuant à l’autre une vitesse appropriée. Supposons maintenant, que de ces deux corps, l’un reste fixe et l’autre décrive un cercle autour du premier ; le résultat sera le même que si le premier avait tourné autour de son axe, en sens inverse. Mais pouvons-nous réellement remplacer le premier mouvement par le second ? L’affirmer, c’est poser que le corps

  1. Descartes. Œuvres, éd. Cousin. Paris, 1829, t. VI, p. 216. Lettre à Mersenne (1632).
  2. Descartes. Principes. Paris, 1668, IVe partie, chap. xxi-xxii, p. 301.