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logique. Or, ni l’un ni l’autre n’est certainement le cas pour Aristote ; on ne saurait évidemment le classer dans la foule des gens primitifs, etc., au sujet desquels Spencer s’exprime avec tant de sévérité. Il est permis d’affirmer, sans doute, qu’il eût pu, par l’analyse des faits qu’il connaissait, parvenir à la connaissance du principe d’inertie ; on peut surtout trouver que son explication du mouvement des corps lancés est insuffisante et qu’il eût dû s’en apercevoir. Mais en soi l’idée d’un monde plein et où rien ne se meut que poussé, à la suite d’un grand mouvement du moteur initial, n’a certes rien de contradictoire, ou du moins ne l’est pas plus que nombre de notions incompréhensibles et que nous sommes néanmoins obligés d’accepter. À bien peser le pour et le contre, on en arrive à souscrire à l’opinion de Paul Tannery, à savoir que le système d’Aristote était à ce moment « beaucoup plus que le nôtre conforme à l’observation immédiate des faits[1] ». Tel est aussi l’avis de M. Duhem qui formule en ces termes les propositions fondamentales de cette mécanique : 1o un corps soumis à une puissance constante se meut avec une vitesse constante ; 2o un corps qui n’est soumis à aucune puissance demeure immobile[2]. L’hypothèse de l’action du milieu ou de la « réaction environnante », comme l’appelle Aristote, a d’ailleurs continué à avoir des partisans depuis[3], et qui sait si les théories électriques ne vont pas nous y ramener ? Mais on peut aller plus loin : là même où Aristote et d’Alembert semblent s’accorder, la démonstration est loin d’avoir la valeur que tous deux lui attribuent. Il suffit de penser à Hipparque et à Benedetti. Pourquoi serait-il absurde de supposer, comme l’ont fait ces derniers et, nous venons de le voir, Galilée à ses débuts, que l’impulsion diminue avec le temps ? Cette supposition nécessiterait évidemment l’introduction d’une constante ; mais nous en acceptons bien une pour l’action de la gravitation. Sans doute, il est préférable de

  1. Paul Tannery. Revue générale des sciences, XII, 1901, p. 334.
  2. Duhem. La théorie physique. Paris, 1906, p. 434.
  3. Cf. Tannery, l. c. Tout récemment le colonel Hartmann (Bull. Soc. phil., 5e année, 1905, p. 403 ss.) a développé une théorie fort remarquable du mouvement mécanique faisant entièrement abstraction du principe d’inertie tel que nous le formulons actuellement et basée au contraire sur ce que le corps et le milieu constituent un ensemble indivisible, le mouvement du corps étant dû à l’existence, dans l’espace environnant, d’éléments matériels, « qui, à partir du moment où il est libéré, provoquent d’abord et entretiennent ensuite son déplacement ».