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il cesserait à l’instant même où cesse l’impulsion ; or, celle-ci ne dure qu’un instant, un espace de temps infinitésimal. Donc, il n’y aurait pas de mouvement du tout. Par conséquent, l’inertie découle du concept même du mouvement, elle « fait partie intégrante de ce concept[1]. »

Il est infiniment curieux de rapprocher cette démonstration de celle qu’on trouve dans le quatrième livre de la Physique d’Aristote. Aristote observe, tout comme d’Alembert et comme Lotze, que si le mouvement devait durer au delà de l’impulsion elle-même, il n’y aurait plus aucun motif pour qu’il cessât jamais. Cette proposition lui paraît absurde et c’est ainsi qu’il établit que, dans le vide, aucun mouvement ne pourrait avoir lieu autrement que par l’action d’une cause continue « comme le fardeau que porte un char. » Mais, bien entendu, pour le plein, c’est-à-dire pour le monde réel (Aristote niant, on le sait assez, l’existence du vide), l’impulsion suffit, car l’air et d’autres corps environnants concourent à maintenir le mouvement[2].

La démonstration de d’Alembert est une déduction pure. Elle n’emprunte à l’expérience que l’existence même du mouvement. En ce sens, le principe du mouvement serait donc apriorique. Mais que vaut au juste cette démonstration ?

La déduction d’Aristote, que nous venons de citer, est certainement de nature à ébranler notre confiance. Se peut-il, nous demandons-nous, que le philosophe grec ait pu se servir du même argument pour aboutir à une conclusion opposée ? Une analyse plus approfondie confirmera cette impression.

En admettant la possibilité de parvenir à la notion de l’inertie par voie purement déductive, on soulève une difficulté qui

  1. Lotze. System der Philosophie. Leipzig, 1874-79. Metaphysik, p. 311. Lotze paraît d’ailleurs avoir quelque peu changé d’avis sur ce point. Cf. id. Grundzuege der Naturphilosophie, 2e éd. Leipzig, 1889, p. 11.
  2. Aristote. Physique, trad. Barthélémy Saint-Hilaire, l. IV, chap. xi, § 8. « On peut observer que les projectiles continuent à se mouvoir, sans que le moteur qui les a jetés continue à les toucher, soit à cause de la réaction environnante, comme on dit parfois, soit par l’action de l’air qui, chassé, chasse à son tour, en produisant un mouvement plus rapide que n’est la tendance naturelle du corps vers le lieu qui lui est propre. Mais, dans le vide, rien de tout cela ne peut se passer et nul corps ne peut y avoir un mouvement que si ce corps est sans cesse soutenu et transporté comme le fardeau que porte un char. § 9. Il serait encore bien impossible de dire pourquoi, dans le vide, un corps mis une fois en mouvement pourrait jamais s’arrêter quelque part. Par conséquent, ou il restera nécessairement en repos ou nécessairement, s’il est en mouvement, ce mouvement sera infini si quelque obstacle plus fort ne vient à l’empêcher. »