Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On énonce généralement le principe d’inertie par une formule en quelque sorte bipartite, la première partie s’appliquant au corps en repos et la seconde au corps en mouvement. On trouve une formule de ce genre chez Descartes[1]. Nous citerons ici la formule donnée par d’Alembert et qui reparaît le plus souvent, avec peu de variantes, chez les auteurs postérieurs. 1re loi : « Un corps en repos y persistera à moins qu’une cause étrangère ne l’en tire. » 2e loi : « Un corps mis en mouvement, par une cause quelconque, doit y persister toujours uniformément et en ligne droite, tant qu’une nouvelle cause différente de celle qui l’a mis en mouvement, n’agira pas sur lui ; c’est-à-dire qu’à moins qu’une cause étrangère et différente de la cause motrice n’agisse sur ce corps, il se mouvra perpétuellement en ligne droite et parcourra en temps égaux des espaces égaux[2]. »

D’Alembert fait suivre l’énoncé de cette double loi d’une démonstration très curieuse. Après avoir formulé la première partie, il poursuit : « Car un corps ne peut se déterminer de lui-même au mouvement, puisqu’il n’y a pas de raison pour qu’il se meuve d’un côté plutôt que d’un autre. Corollaire. De là il s’ensuit que si un corps reçoit un mouvement pour quelque cause que ce puisse être, il ne pourra lui-même accélérer ni retarder ce mouvement. »

La deuxième partie est démontrée en ces termes : « Car, ou l’action indivisible et instantanée de la cause motrice au commencement du mouvement suffit à faire parcourir au corps un certain espace, ou le corps a besoin, pour se mouvoir, de l’action continuée de la cause motrice.

« Dans le premier cas il est visible que l’espace parcouru ne peut-être qu’une ligne droite décrite uniformément par le corps mû. Car (hypothèse) passé le premier instant, l’action de la cause motrice n’existe plus, et le mouvement néanmoins existe encore : il sera donc nécessairement uniforme puisque (corollaire) il ne peut accélérer ni retarder son mouvement de lui-même. De plus, il n’y a pas de raison pour que le corps s’écarte à droite plutôt qu’à gauche. Donc, dans ce premier cas, où l’on suppose qu’il soit capable de se mouvoir de lui-même

  1. Descartes. Principes. Paris, 1668, 2e partie, § 43, p. 92. « [Un corps] lorsqu’il est en repos a de la force pour demeurer en ce repos et pour résister à tout ce qui pourrait le faire changer. De même que lorsqu’il se meut, il a de la force pour continuer de se mouvoir, avec la mesme vistesse et vers le mesme costé. »
  2. D’Alembert. Dynamique, 2e éd. Paris, 1757, p. 3.