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décroissant[1]. Nous verrons tout à l’heure que cette déduction devait particulièrement convenir à Benedetti. Mais par où ce dernier s’écarte complètement du péripatétisme, c’est qu’il suppose qu’un mouvement violent, celui qu’on imprime au corps en le lançant, peut se composer d’une manière continue avec un mouvement naturel, celui du corps qui tombe. Tartaglia encore avait expressément nié la possibilité d’une telle composition, et cette conviction était tellement répandue qu’en 1561 Santbeck osa affirmer, contrairement à l’évidence la plus manifeste, que la trajectoire d’une balle se composait de deux lignes droites, la première période se prolongeant tant que prévalait le mouvement violent et la seconde commençant dès que prévalait le mouvement naturel[2].

Bien entendu, Benedetti suppose que l’impulsion communiquée au corps décroît continuellement avec le temps[3], et c’est justement à propos de cette décomposition du mouvement des corps lancés qu’on voit à quel point cette conception était pour ainsi dire forcée. En effet Benedetti, tout comme ses prédécesseurs, n’a aucune idée d’une force dont les effets s’accumulent, ainsi que nous l’admettons pour la gravitation. L’effet de celle-ci devait lui paraître simplement constant, et dès lors, afin d’expliquer comment elle arrivait à prévaloir avec le temps, il fallait recourir à une réduction de l’autre composante.

Benedetti paraît avoir été l’inspirateur le plus direct de Galilée. Dans les Sermones[4], ce dernier met en avant une théorie qui est fondée, tout comme chez Benedetti, sur la diminution de la vis impressa ; cependant, à l’époque à laquelle appartient la partie la plus ancienne de ce traité (1590), Galilée avait déjà découvert la loi des espaces de la chute. C’est vers 1610 que Galilée semble avoir eu l’idée de composer la trajectoire à l’aide du mouvement horizontal et de celui de la chute[5]. Mais la diminution de la vis impressa se retrouve

  1. Cf. Duhem. Les origines de la statique. Paris, 1905, pp. 108, 109.
  2. Rosenberger. Geschichte der Physik, vol. I, p. 422. — La conception courante était moins logique, mais, par là même, moins contraire à l’évidence : on reliait les deux droites par un arc de cercle. On trouvera l’image de la trajectoire ainsi conçue chez Cardan, trad. Le Blanc, § 49.
  3. Benedetti, l. c. « Verum idem est, impressum illum impetum paulatim decrescere… »
  4. Galilée. Sermones de motu gravium, Œuvres. Florence, 1842-56, vol. XI, p. 33.
  5. Cf. E. Wohlwill. Die Entdeckung des Beharrungsgesetzes. Zeitschrift fuer Voelkerpsychologie, vol. XV, 1884, p. 110.