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qu’une seule interprétation : Pappus ignorait que la force nécessaire pour déplacer un mobile sur un plan horizontal n’a aucun rapport avec celle qu’exige le déplacement du même mobile sur un plan incliné. Il croyait que si un mobile sur un plan horizontal est lancé avec une certaine vitesse, celle-ci diminuera d’elle-même avec le temps. Cette opinion est évidemment très conforme aux données de l’expérience immédiate : dans la nature on voit, en effet, le mouvement rectiligne se prolonger quelque temps en se ralentissant, pour cesser rapidement.

On a aussi voulu voir l’affirmation de l’inertie dans un passage des Moralia de Plutarque. Ce dernier y expose que « ce qui aide la lune à ne pas tomber (sur la terre), c’est sa marche même et la rapidité de sa révolution », et il ajoute : « Chaque corps, en effet, suit son impulsion naturelle à moins d’en être détourné par un autre… Voilà pourquoi la lune ne cède pas à l’entraînement de sa pesanteur, parce que cette pesanteur même est neutralisée par la rapidité de sa révolution[1]. » Il est certain que, pour un lecteur moderne, ces phrases semblent impliquer que l’auteur supposait une composition entre un mouvement rectiligne imprimé à la lune et l’attraction exercée par la terre. En réalité, l’idée que la lune pût suivre à la fois ces deux mouvements lui était certainement étrangère. Ce qu’il a voulu dire, c’est que le mouvement naturellement circulaire de la lune, étant plus fort que l’attraction de la terre, empêchait cette attraction de se manifester. En effet, pour illustrer son explication, il ajoute : « … Ainsi les projectiles placés sur une fronde se trouvent retenus par le mouvement circulaire qui leur est imprimé » : c’est bien le mouvement circulaire lui-même, et non pas un mouvement rectiligne composé ensuite qui manifeste son influence.

Au sujet de la persistance du mouvement rectiligne, l’antiquité paraît avoir été partagée entre deux conceptions. L’une est celle d’Aristote, qui suppose qu’un corps ne peut être mû que par un autre qui le touche continuellement, comme s’il était par exemple « porté sur un char ». Dans les conditions ordinaires, ce phénomène se trouve voilé à nos yeux, parce que, en lançant un corps, nous imprimons en même temps

    chap. X. — On trouvera un exposé détaillé de la théorie de Pappus chez M. Duhem. Les origines de la statique, Paris, 1905, p. 189 ss.

  1. Plutarque. Du visage qui se voit dans le disque de la lune, chap. VI, § 9. Cf. Appendice II, p. 415.