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CHAPITRE III

LE PRINCIPE D’INERTIE

On, a affirmé quelquefois que ce principe fut connu dans l’antiquité[1]. Il est certain qu’en suivant l’exposé d’un système atomique grec, comme celui de Démocrite, à travers les réfutations d’Aristote, ou celui d’Épicure dans le De natura rerum, un lecteur moderne est presque invinciblement conduit à supposer que ces philosophes postulaient implicitement l’inertie. Nous ne croyons cependant pas que tel fût le cas. Nulle part, ni chez un philosophe atomiste, ni même chez aucun écrivain ancien, n’apparaît une allusion indiquant que l’on croyait au mouvement indéfini en ligne droite, en vertu d’une impulsion reçue et sans l’action continuelle d’une force. Il est probable qu’un atomiste ancien, interrogé sur la question de savoir d’où vient le mouvement continuel des particules, aurait répondu qu’elles tombent ou se meuvent en vertu d’une force qui leur est inhérente ; cela se voit nettement chez Lucrèce, et Démocrite semble avoir été du même avis[2] : tout au plus aurait-il cité l’exemple de quelque mouvement persistant connu, comme celui de la toupie ou de la corde qui vibre[3], plutôt que le mouvement du corps jeté qui lui appa-

  1. Tel paraît être notamment l’avis de Paul Tannery, Galilée et les principes de la dynamique. Revue générale des sciences, vol. XIII, 1901, p. 333. Cf. aussi René Berthelot, Bibliothèque du Congrès de philosophie de 1900, vol. IV, p. 99.
  2. Cf. Mabilleau, l. c., p. 210-211. M. Mabilleau a certainement raison de supposer que le passage d’Aristote transcrit par lui (Métaph. XII, 6, 1071) et où il est question du mouvement naturel des atomes, est une citation de Démocrite. La suite « il n’y a proprement ni cause ni raison de ce qui existe éternellement » exprime une opinion de l’atomiste contre laquelle Aristote a constamment protesté. Cf. aussi De generatione animalium, II, 6.
  3. Diogène de Laerte (Vies et doctrines des philosophes de l’antiquité, trad. Zévort, Paris, 1847, vol. II, p. 212) affirme expressément que Démocrite aurait déclaré que les atomes sont emportés à travers l’univers par un