Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

théories cinétiques qui sont l’expression d’une forme nécessaire de notre entendement.

D’ailleurs, à supposer que cette élimination fût possible, ce qui resterait de la science ne serait pas davantage conforme au programme tracé par Comte et par M. Mach. Dans ce qui précède, nous nous sommes quelquefois exprimé comme s’il existait réellement une partie de la science découlant uniquement du principe de légalité ; mais c’était pure fiction. En réalité la science, même dans sa partie en apparence purement légale, est profondément imprégnée de la recherche de la causalité. C’est ce que nous allons tenter d’établir à présent.

Il existe, dans la science, plusieurs énoncés dont la nature semble quelque peu ambiguë. On les qualifie tantôt de principes, tantôt de lois ; d’aucuns leur supposent une origine purement empirique, alors que d’autres les estiment aprioriques.

Quelquefois les savants avouent leur embarras. « Dans l’opinion de beaucoup de physiciens, dit Hertz, il apparaîtra comme inconcevable que l’expérience la plus éloignée puisse jamais changer quelque chose aux inébranlables principes de la mécanique ; et cependant, ce qui sort de l’expérience peut toujours être rectifié par l’expérience[1]. » C’est surtout parce que cette ambiguïté lui paraissait entacher d’obscurité les fondements tout entiers de la mécanique, que Kirchhoff a cru devoir limiter la tâche de cette science à la simple description du mouvements[2]. Et bien que, ainsi que nous le verrons dans la suite, des opinions plus justes aient été exprimées depuis fort longtemps, elles ne paraissent pas avoir prévalu jusqu’à ce jour.

On peut réunir les énoncés dont nous parlons sous le nom commun de principes de constance ou de conservation : la conservation de la vitesse ou l’inertie, la conservation de la masse, la conservation de l’énergie. Ces principes ou lois sont, on le voit, du nombre des généralisations les plus vastes et les plus importantes auxquelles l’esprit humain ait atteint jusqu’à ce jour. Nous allons montrer que, dans leur genèse, la recherche de l’identité dans le temps a joué un rôle prépondérant et que cette origine influe sur la nature et la portée de ces propositions.


  1. Poincaré, La science et l’hypothèse. Paris, s. d., p. 127.
  2. Kirchhoff, Vorlesungen ueber mathematische Physik, 3e éd. Leipzig, 1883-1891, vol. I, préface.