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électrique, il fallait ramener ce dernier à son tour à un phénomène mécanique encore plus fondamental, ce qui semble évidemment peu logique. Ce n’est pas seulement Lord Kelvin — que l’on pourrait à la rigueur considérer comme un partisan attardé de l’ancien ordre de choses — qui parle de la sorte ; dans les écrits des fondateurs et des sectateurs les plus déterminés de la nouvelle doctrine, on pourrait facilement trouver nombre de passages où cette conception est implicitement contenue. Mais cela tient, semble-t-il, surtout à la nouveauté de la théorie ; il faut lui laisser le temps de se consolider pour que ceux-là mêmes qui la manient s’assimilent entièrement ce nouveau mode de la pensée et en aperçoivent clairement toutes les conséquences. Toutefois, on ne saurait contester, semble-t-il, que les principes des nouvelles conceptions se trouvent définis avec une netteté suffisante : le phénomène électrique est réellement conçu comme devant servir de terme de réduction à tous les autres. Il est très caractéristique, à cet égard, que, comme l’a remarqué M. Langevin dans sa préface à la traduction du livre Sur les électrons de M. Lodge[1], les constructions mécaniques très ingénieuses qui remplissaient une œuvre précédente du célèbre physicien aient entièrement disparu dans l’ouvrage plus récent.

Donc, le phénomène fondamental, ce n’est plus le choc de deux corpuscules, ce n’est pas non plus l’action de deux centres de force mécanique, c’est celle de deux électrons. Nous connaissons fort bien les lois qui régissent cette action et qui sont des lois expérimentales ; mais qui peut dire qu’il comprend comment cette action s’exerce, qu’il en saisit le mécanisme ? Pour ce faire il faudrait, ainsi que l’indique le synonyme dont nous venons d’user, en fournir une théorie mécanique ; or, on nous en interdit l’espoir, puisque le phénomène électrique est ultime. Ainsi, même l’illusion du compréhensible que faisaient naître en nous l’hypothèse corpusculaire et, à un degré moindre, l’hypothèse dynamique, s’est évanouie ; ce qu’on pose comme phénomène fondamental dans l’hypothèse électrique est un X, un phénomène nettement inexpliqué et qu’on déclare même inexplicable par le fait seul qu’on le pose comme le dernier terme de la réduction. Et c’est à cet X, à cet inexplicable, que doivent se ramener les phénomènes que nous avons cru comprendre. En voyant

  1. Lodge, loc. cit., p. 10.