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dans le fait que les mathématiques pures ne s’occupent pas du changement dans le temps[1]. Mais dans les sciences physiques, où l’on traite de ce dernier, comme il faut l’expliquer et que l’on ne peut postuler l’identité du tout, force est de se rabattre sur des parties qui, devant être immuables, ne peuvent être conçues que comme des individus discrets, limités dans l’espace.

Le fait que le postulat de l’identité dans le temps fait partie intégrante de notre raison explique la spontanéité avec laquelle ces théories naissent et la facilité prodigieuse avec laquelle elles se développent. Nous comprenons, de même, qu’il y ait dans la science non pas une doctrine atomique, mais une multiplicité de doctrines qui, tout en ayant certains traits fondamentaux communs, s’accordent mal, voire même se contredisent souvent. C’est que ce sont des conceptions nées plus ou moins spontanément, sous l’influence d’une seule et même tendance, par la considération d’un groupe déterminé de phénomènes ; ce ne sont pas, comme on pourrait le croire, des dérivations d’une théorie unique. De là aussi l’illusion si fréquente chez les savants et même chez quelques philosophes qui prétendent distinguer la conception atomique spéciale à une partie de la science comme « vérité expérimentale » de la théorie atomique générale qualifiée d’hypothétique[2] voire même l’ensemble des théories atomiques mo-

    tiligne et uniforme, c’est-à-dire du principe d’inertie (l. c., p. 74 ss). C’est évidemment une anomalie au point de vue historique, car l’atomisme moderne se trouve dès lors séparé de celui des Grecs, des Hindous, des Juifs et des Arabes. C’est Spir, croyons-nous, qui, le premier, a déduit, un peu confusément il est vrai, l’atomisme du principe de l’identité dans le temps (l. c., p. 424-425). La première édition de Denken und Wirklichkeit a paru en 1873. Hannequin semble avoir ignoré cette déduction ; l’Essai critique a paru en 1895, un an avant la traduction française de l’œuvre de Spir. — Il est extrêmement curieux de constater qu’Auguste Comte, avec la pénétration dont il fait preuve si souvent quand ses préoccupations sociales ne sont pas en jeu, a rapproché le rôle de l’hypothèse corpusculaire dans la physique, de celui du principe d’inertie en mécanique. (Politique positive, vol. I, p. 520, 555.)

  1. À l’appui de cette manière de voir, on peut remarquer que l’indivisible ne paraît en mathématique, même d’une manière passagère, qu’à propos de considérations relatives au mouvement, c’est-à-dire au temps. C’est parce que le mouvement supposé n’a rien de réel, parce qu’on en élimine l’image dès que la courbe est engendrée, que celle-ci, redevenant, comme dans la géométrie synthétique, un concept formé en dehors du temps, devient du même coup continue. Il semble que Hannequin ait, à un moment donné, entrevu quelque chose de ce rapport (l. c., p. 72).
  2. Les chimistes surtout sont très enclins à cette illusion. Cf. par exemple Schutzenberger, Traité de chimie générale, p. VII.