Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

y reviendrons plus tard. Notre déduction étant tout à fait générale, ce que nous avons établi pour le phénomène calorique s’applique à tout phénomène quel qu’il soit. On ramènera donc forcément tous changements des corps à des arrangements, des modifications dans l’espace, à des déplacements de parties ; c’est-à-dire que, comme le postulait Démocrite, le « doux et l’amer, le chaud et le froid, la couleur » ne sont plus que des « opinions », la seule réalité consistant dans « ce qui est modifié au point de vue de la position du corps ». On voit clairement que cette disparition de la qualité est une conséquence directe des prémisses fondées elles-mêmes sur le postulat d’identité.

Ces parties dont le déplacement sera le phénomène essentiel de la réalité, le seul phénomène réel, j’ai conclu à leur existence à l’aide d’un raisonnement ; mais il va sans dire que je ne puis les apercevoir directement : c’est donc qu’elles sont fort petites. Ces parties ou particules restent d’ailleurs toujours identiques à elles-mêmes, éternelles, immuables : ceci encore est une conséquence directe du postulat fondamental. Et comme elles doivent se déplacer sans subir aucune modification et que ce mode de déplacement est, dans le monde matériel, le privilège des corps solides, les particules seront forcément des ultra-solides immodifiables, par conséquent impossibles à briser, à diviser mécaniquement, des atomes.

Nous voilà au terme de notre déduction ; nous montrerons plus tard qu’un autre trait distinctif des théories atomiques, l’unité de matière qu’elles supposent, peut s’expliquer d’une manière analogue. Mais notre exposé suffit, semble-t-il, pour établir quel est le véritable fondement de ce « fait psychologique » dont parle E. Du Bois-Reymond : la force explicative des théories réside essentiellement dans l’application du postulat de l’identité dans le temps. On voit clairement aussi que c’est en vertu de ce postulat que les théories physiques sont dominées par le concept de particules discrètes. C’est là ce qui les différencie des conceptions mathématiques où l’infiniment petit, l’indivisible, ne paraît jamais que momentanément pour se fondre aussitôt dans le continu[1]. Cette différence a sa source

  1. Hannequin a été vivement frappé par le problème que soulève celle différence et a tenté de le résoudre (l. c., p. 92), à notre avis vainement. Il semble avoir eu le sentiment très net que mécanisme et principes de conservation se rattachent au même ordre d’idées ; mais, par suite de l’idée préconçue selon laquelle le discontinu serait introduit dans la physique par les mathématiques, il a déduit l’atomisme du concept du mouvement rec-