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ne puis pas faire un modèle mécanique, je ne comprends pas[1]. » Maxwell commence par déclarer que « quand un phénomène quelconque est susceptible d’être décrit comme un exemple d’un principe général applicable à d’autres phénomènes, ce phénomène est dit expliqué », ce qui semble conforme, on le voit, à l’opinion de Comte et de M. Mach. Mais il ajoute aussitôt : « D’autre part, quand un phénomène physique est susceptible d’être complètement décrit comme une modification dans la configuration et le mouvement d’un système matériel, l’explication dynamique de ce phénomène est considérée comme étant complète. Nous ne pouvons concevoir une explication ultérieure comme nécessaire, désirable ni possible[2]. » On le voit, pour Maxwell, l’explication par la loi n’est pas aussi complète que celle par le mécanisme ; c’est cette dernière seule qui paraît « ultime ».

Si l’analyse à laquelle nous nous sommes livré plus haut en ce qui concerne le principe de causalité est exacte, si ce principe consiste essentiellement dans l’application à l’objet dans le temps d’un postulat qui, dans la science légale, ne s’applique qu’à l’objet dans l’espace, nous devons en voir ici la preuve ; les théories atomiques ou cinétiques, au moins en ce qui concerne leurs traits essentiels et durables, doivent pouvoir se déduire de ce principe. C’est ce dont il est, en effet, facile de se rendre compte.

Le monde extérieur, la nature, nous apparaît comme infiniment changeant, se modifiant sans trêve dans le temps. Cependant le principe de causalité postule le contraire : nous avons besoin de comprendre, et nous ne le pouvons qu’en supposant l’identité dans le temps. C’est donc que le changement n’est qu’apparent, qu’il recouvre une identité qui est seule réelle. Mais il y a là, semble-t-il, une contradiction. Comment pourrai-je concevoir comme identique ce que je perçois comme divers ? Il existe pourtant une issue, un moyen unique de concilier dans une certaine mesure ce qui paraît au premier

  1. W. Thomson, Conférences scientifiques et allocutions, trad. Lugal et Brillouin. Paris, 1894, p. 299.
  2. Maxwell, Scientific Papers. Cambridge, 1890, vol. II, p. 418. Cf. id. La chaleur, trad. Mouret, Paris, 1891, p. 386 : « Quand nous avons acquis la notion de la matière en mouvement, et que nous savons ce que l’on entend par l’énergie de ce mouvement, nous sommes incapables d’aller plus loin et de concevoir qu’une addition quelconque possible à nos connaissances puisse expliquer l’énergie du mouvement ou nous en donner une connaissance plus complète que celle que nous avons déjà. »