Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lement elles ont quelque chance de paraître telles. Nous avons vu plus haut que cela résulte nettement de la pratique des savants. Mais, au surplus, quelques-uns d’entre ces derniers l’ont expressément affirmé. Leibniz déjà, dans un passage fréquemment cité, constate un peu ironiquement ce caractère particulier des théories atomiques[1]. Mais son ironie ne s’appliquait évidemment qu’au concept de l’atome. Quant au principe d’après lequel tout phénomène devait se réduire au mécanisme, Leibniz, nous l’avons vu, l’a proclamé aussi fermement que Descartes, et il a marqué avec une clarté parfaite que cette réduction lui paraissait nécessaire pour rendre les phénomènes intelligibles. Son grand contemporain Huygens, après avoir défini la « vraie philosophie » comme étant celle « où les causes de tous les effets naturels sont conçues par des raisons mécaniques », ajoute : « ce qui doit se faire, à mon avis, si nous ne voulons abandonner tout espoir de comprendre quelque chose en physique[2] ». Des savants modernes ont été, si possible, plus explicites encore ; M. E. Du Bois-Reymond, dans un passage qui rappelle étrangement celui de Huygens, définit la science comme « l’action par laquelle nous ramenons les modifications dans l’univers physique à la mécanique des atomes » et continue : « C’est un fait psychologique, que là où cette réduction réussit, notre besoin de causalité (Causalitaetsbeduerfniss) se trouve satisfait pour le moment[3] » ; Lord Kelvin écrit : « Il me semble que le vrai sens de la question : comprenons-nous ou ne comprenons-nous pas un sujet particulier en physique ? est : Pouvons-nous faire un modèle mécanique correspondant[4] ? » Ailleurs il s’exprime en ces termes : « Je ne suis jamais satisfait tant que je n’ai pas pu faire un modèle mécanique de l’objet ; si je puis faire un modèle mécanique, je comprends ; tant que je

  1. Leibniz, éd. Erdmann, p. 798 « Quand j’étais jeune garçon, je donnai aussi dans le Vuide et dans les Atomes : mais la raison me ramena. L’imagination était riante. On borne là ses recherches : on fixe [sa] méditation comme avec un clou ; on croit avoir trouvé les premiers éléments, un non plus ultra. Nous voudrions que la Nature n’allât pas plus loin, qu’elle fût finie, comme notre esprit… »
  2. Christiani Hugenii Opera reliqua. Amsterdam, 1728, p. 2. « … in verâ philosophiâ in quâ omnium effectuum naturalium causæ concipiuntur per rationes mechanicas : id quod meo judicio fieri debet nisi velimus omnem spem abjicere aliquid in physica intelligendi. »
  3. E. Du Bois-Reymond. Reden. Leipzig, 1886-87, p. 105-106.
  4. W. Thomson. Notes of Lectures on Molecular Dynamics, etc. Baltimore, 1884, p. 132.