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et devons-nous périodiquement revenir aux conceptions que, dès l’antiquité, les philosophes ont imaginées ? Les progrès de la thermodynamique nous avaient cependant fait concevoir d’autres espérances ; elle semblait pouvoir nous guider à elle seule dans le domaine physique, tout en ne s’appuyant elle-même que sur des raisonnements et des principes formés par la généralisation naturelle de quelques lois expérimentales. Nous faudra-t-il donc toujours avoir recours à des images, à des interprétations mécaniques, sans doute si peu conformes à la nature[1] ? » Ce physicien, on le voit, ne manifeste aucun enthousiasme à l’égard des théories en question, ce qui rend son témoignage d’autant plus recevable.

Il est remarquable, d’ailleurs, que cette évolution ne s’opère pas par une marche constante, mais par heurts, par une sorte de mouvement de flux et de reflux. Pendant une partie du xixe siècle, les théories atomiques étaient un peu délaissées, tombées en discrédit, du moins en apparence. M. Ostwald proclamait « la déroute de l’atomisme[2] ». M. Duhem voulait orienter la science vers un retour au péripatétisme. Il est certain qu’à l’heure actuelle ces deux penseurs, en dépit de leur grande autorité, ne sont plus suivis en cette question que par une infime partie de l’opinion scientifique, laquelle au contraire subit, comme nous venons de le dire, une puissante poussée vers les doctrines atomistiques.

Cournot déjà avait pressenti que le succès des théories cinétiques devait avoir des raisons profondes. « Aucune des idées de l’antiquité, dit-il, n’a eu une plus grande, ni même une pareille fortune. Il faut que les inventeurs de la doctrine atomistique soient tombés de prime abord ou sur la clef même des phénomènes naturels, ou sur une conception que l’esprit humain lui suggère inévitablement[3]. »

Cournot a raison, et nous pouvons à présent serrer la question de plus près qu’il ne l’avait fait. Fixons d’abord ce point essentiel : les théories cinétiques sont explicatives. Notre esprit, souvent, les exige impérieusement, et il s’en montre toujours satisfait quand il les reconnaît valables ou que seu-

  1. Lucien Poincaré. Revue annuelle de physique, Revue générale des sciences, vol. IX, 1898, p. 429.
  2. Ostwald. La déroute de l’atomisme contemporain, Revue générale des sciences, 1895, p. 953 ss.
  3. Cournot. Traité de l’enchaînement des idées fondamentales dans la science et dans l’histoire. Paris, 1861, p. 245.