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rigueur par Gassendi. Entre temps, Galilée et Descartes avaient transformé la physique et définitivement écarté les conceptions aristotéliciennes. Tous deux sont mécanistes et Descartes surtout, avec un éclat et une autorité incomparables, proclame cette doctrine que tout phénomène doit se ramener en dernière analyse à un changement mécanique. Il est inutile de poursuivre cet historique plus loin. Jusqu’à la fin du xixe siècle, les principes de Descartes ont dominé la science de la manière la plus absolue : on ne saurait citer un savant de quelque renom qui s’en soit sciemment écarté.

Sans doute, dans notre rapide résumé, nous n’avons fait ressortir que les grands traits de la théorie, en négligeant les nuances. L’atomisme des Motekallemin qui résout l’espace en points et le temps en instants indivisibles, nécessitant des actes de création incessants de la divinité, se rapproche des conceptions des Hindous, mais se distingue nettement de l’atomisme corpusculaire de Démocrite. Ni Galilée ni Descartes ne sont atomistes dans le sens propre du mot et, parmi les physiciens postérieurs, beaucoup d’entre ceux mêmes qui déclarent adhérer à cette doctrine en formulent les principes de manière fort diverse, souvent sans rigueur aucune, et d’ailleurs s’en écartent quelquefois dans la pratique. Il est certain néanmoins que l’on peut réunir toutes ces conceptions sous le terme de mécaniques et que leur fonds commun est considérable[1]. En somme, il ne semble point trop téméraire d’affirmer que les hypothèses mécaniques sont nées avec la science et qu’elles ont fait, pour ainsi dire, corps avec elle pendant toutes les époques où elle progressait réellement, celle où la science faisait abstraction de ces hypothèses ayant été aussi une époque de progrès très lent[2]. Cette coïncidence

  1. Non seulement les philosophes et les historiens de l’atomisme, tels que Lange, MM. Lasswitz et Mabilleau, mais encore beaucoup de physiciens ont la claire notion de cette continuité. Cf. par exemple Larmor, Ether and Matter. Cambridge, 1900, p. 25.
  2. L’opinion que nous exprimons dans le texte a trouvé des contradicteurs. Comte déjà avait pris la défense des siècles du moyen âge « temps mémorables, injustement qualifiés de ténébreux par une critique métaphysique dont le protestantisme fut le premier organe » (Cours, V, p. 317, cf. VI, p. 81). Mais les opinions de Comte, ici comme ailleurs, s’expliquent par ce fait qu’il subordonnait l’intérêt proprement scientifique à des intérêts étrangers à ce domaine. M. Duhem, dans des ouvrages dont l’importance au point de vue de l’histoire et de la philosophie des sciences ne saurait être estimée trop haut, cherche à démontrer que notre science se rattache, par une filiation directe, à celle du moyen âge et que les « soi-disant renaissances » n’ont été que « des réactions fréquemment injustes et