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Jérôme conservent sa physique[1]. Au viiie siècle, Raban Maur professe des opinions nettement atomistes qu’il semble avoir empruntées surtout à Lucrèce[2]. Après lui, ces théories subissent en Occident une longue éclipse, la physique d’Aristote arrive à la domination absolue. En Orient l’atomisme a fait preuve de plus de vitalité. Ce fut d’abord une école d’atomistes juifs que nous connaissons par les réfutations de Saadia, philosophe du ixe siècle[3]. Ensuite vint l’école arabe des Motekallim on Motekallemin, et Maïmonide, qui d’ailleurs rejetait leurs opinions, nous en a laissé un résumé qui ne permet aucun doute sur leur accord avec Démocrite et les atomistes hindous. « Ils soutenaient, dit Maïmonide, que l’univers entier, c’est-à-dire chacun des corps qu’il renferme, est composé de très petites parcelles qui, à cause de leur subtilité, ne se laissent point diviser. Chacune de ces parcelles est absolument sans quantité ; mais lorsqu’elles sont réunies les unes aux autres, cet ensemble a de la quantité et c’est alors un corps… Toutes ces parcelles sont semblables et pareilles les unes aux autres, et il n’y a entre elles aucune espèce de différence. Il n’est pas possible, disent-ils, qu’il existe un corps quelconque qui ne soit pas composé de ces parcelles pareilles, par juxtaposition ; de sorte que, pour eux, la naissance, c’est la réunion, et la destruction, c’est la séparation[4]. »

À la veille de la Renaissance, l’atomisme eut en Europe un adepte en Nicolas de Autricuria ou Ultricuria[5] ; nous ne le connaissons d’ailleurs que par cette circonstance qu’il fut forcé en 1348, à Paris, de renoncer publiquement à diverses doctrines antérieurement professées par lui et au nombre desquelles se trouvait la thèse que tous les phénomènes de la nature se ramènent aux mouvements de réunion et de séparation des atomes. Mais la chaîne rompue fut définitivement renouée à la Renaissance. Préparé par Giordano Bruno, Fernel, Gorlaeus, Sennert, Seb. Basso, Beringard, Maquedus, l’atomisme de Démocrite et d’Épicure est formulé dans toute sa

  1. J. Philippe. Lucrèce dans la théologie chrétienne. Paris, 1895, p. 9, 11, 13.
  2. Ib., p. 42 ss.
  3. Cf. Picavet. Esquisse d’une histoire des philosophies médiévales, 2e éd., Paris, 1907, p. 37, 163.
  4. Moïse ben Maïmoun. Le guide des égarés, trad. Munk. Paris, 1856-66, vol. I, p. 377.
  5. Cf. Lasswitz, l. c., p. 237 ss.