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l’explication scientifique qui, ici, nous intéresse seul. Nous osons réclamer de ce chef quelque indulgence de la part du lecteur, nous le prions de ne pas nous condamner trop rapidement si, à première vue, le geste — comme dans le contour d’un animal quaternaire ou dans un dessin japonais — semble excessif, outré. Les titres mêmes de nos chapitres sont parfois plus elliptiques encore qu’un titre n’a le droit de l’être. Quand il lira Hegel, Descartes et Kant, le lecteur voudra bien se souvenir que nous n’étudierons nullement les rapports entre ces trois penseurs en général, mais que nous nous bornerons à comparer leurs épistémologies et en particulier la manière dont ils ont considéré l’explication du phénomène physique, en tant surtout que cette conception nous paraît susceptible d’éclaircir l’attitude de la science actuelle.

Notre travail, le titre l’indique, a pour base une théorie de la science. Quand nous nous aventurons au delà, sur le terrain de la métaphysique propre, ce sont par conséquent toujours les conceptions de la science qui nous servent de points de départ et de points d’appui et c’est, de préférence, sous cet angle que nous considérons toutes choses. Donc, en réfutant, en déclarant inadmissible telle ou telle doctrine, ce que nous entendons dire en vérité, c’est qu’elle ne saurait être mise d’accord avec la manière dont la science considère ces matières. Or, il existe d’autres « réalités » que celles du monde matériel et de la science — les néo-hégéliens anglais surtout, avec raison, ne se lassent pas d’insister sur ce point. Et comme, d’autre part, notre raison ne se résigne jamais pleinement à ne pas comprendre, les tentatives d’une métaphysique moniste, visant à concevoir le monde à un point de vue unique, sont et seront de tous les temps. Nous n’aspirons nullement à y mettre un terme — dussent-elles s’engager dans les voies de l’idéalisme romantique, voire même dans celles de l’hégélianisme. Nous ne désirons que montrer, aux créateurs futurs de systèmes, avec autant de netteté que possible, les obstacles qu’ils auront à franchir, et notre ambition suprême sera comblée si nos travaux sont reconnus comme faisant partie des prolégomènes à toute métaphysique future.