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« cherche à nous instruire en nous choquant », — ses déductions mettent souvent à nu les ressorts véritables et cachés de nos pensées.

Une philosophie est une tentative pour nous mettre d’accord avec nous-mêmes ou, si l’on aime mieux, pour mettre d’accord, étant donné que notre raison est ce qu’elle est, les « réalités » qui nous assaillent de divers côtés. Elle vaut donc surtout par l’ensemble, par le système, et l’on ne peut utilement la critiquer, l’attaquer qu’en embrassant ce système en sa totalité, au moins par ses traits principaux. Or, nous ne le tentons nullement en ce qui concerne le système de Hegel, tout au contraire nous n’en étudions qu’une partie strictement limitée, à un point de vue très particulier. C’est dire que nous ne nous flattons aucunement de l’avoir réfuté. Sans doute, le lecteur trouvera-t-il, dans les pages qui vont suivre, plus d’un passage d’où une prétention de ce genre semblerait découler ; mais c’est là, en quelque sorte, un simple défaut de perspective auquel nous n’avons pas su remédier. Nous entendons ici, une fois pour toutes, le redresser, en priant le lecteur d’ajouter, là où cela paraît indiqué, les réserves nécessaires. Les répéter chaque fois eût été fastidieux et eût embrouillé encore une matière déjà suffisamment difficile à éclaircir.

Nous en dirons autant et davantage pour les autres penseurs que nous mentionnons dans le cours de notre travail. Le lecteur à qui ces grands noms sont familiers jugera parfois que les images que nous traçons de ces hommes correspondent bien peu à celles que lui offre le souvenir de ses études, que ces figures se trouvent chez nous déformées en quelque sorte par une vision trop unilatérale, par le parti pris d’une perspective artificielle qui fausse la proportion, en grandissant démesurément une particularité, considérée généralement comme secondaire, au détriment de ce qui apparaît, aux meilleurs juges, comme le contenu le plus essentiel de la doctrine. Mais c’est qu’aussi bien ce ne sont pas ici des images. Pour nous servir d’une métaphore que nous empruntons au domaine de l’art, nous ne prétendons point modeler de figures en ronde bosse, ce que nous voulons, c’est plutôt fixer, par un croquis sommaire, une attitude envers ce problème de