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moins n’avions-nous considéré la doctrine péripatétique qu’en tant que, par une déviation manifeste, elle avait donné naissance à une véritable physique qualitative. La marche du présent travail nous permet de combler cette lacune, ne fût-ce que dans une certaine mesure.

On pourrait, sans doute, prétendre que, ces procédés d’explication étant très éloignés de ceux que nous reconnaissons actuellement comme valables, il ne saurait résulter, de leur examen, aucun enseignement utile au point de vue de la connaissance du raisonnement scientifique de nos jours. Mais ce serait là méconnaître le principe essentiel de l’unité de la raison, principe qui — nous le pensons du moins — recevra une nouvelle confirmation par les constatations auxquelles nous aboutissons. Ainsi nous osons espérer que le lecteur voudra bien reconnaître avec nous que des modes de raisonnement qui, à première vue, nous paraissent les plus étranges, les moins conformes à ceux dont nous avons l’habitude, s’apparentent cependant fréquemment, par plus d’un côté, à ces derniers et peuvent alors servir à nous en faire découvrir des ressorts qui seraient susceptibles de nous rester cachés. C’est le cas, notamment, pour les théories mises en avant par cet homme dont la réputation philosophique — c’est le moins, semble-t-il, qu’on en puisse dire — est une des plus retentissantes qui soient : Hegel.

Ce qu’est le profit que nous entendons tirer de l’examen de l’œuvre de Hegel, le lecteur le verra dans les pages qui suivent. Il y verra comment cet esprit puissant a su, pour ainsi dire d’emblée, pénétrer, au moins partiellement, les véritables principes directeurs de la pensée scientifique, et comment ensuite, entraîné en quelque sorte par sa vigueur même et par la confiance sans bornes qu’il mettait en ses forces, il a édifié sur ces vues justes et profondes un monument monstrueux. Mais les erreurs mêmes de cette pensée comportent parfois des enseignements précieux. Car par suite du sérieux et de la ténacité inlassable avec lesquels Hegel poursuit ses idées jusqu’au bout, par suite de la sincérité avec laquelle il les expose et de son profond dédain pour toute considération tirée du sens commun — un de ses sectateurs anglais a dit justement que Hegel