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introduction

Comme les chansons de geste abondent en récits de batailles, il est naturel d’aller chercher dans notre ancienne épopée des notions sur l’art militaire du xie au xiiie siècle. Toutefois, c’est une source à laquelle il convient de ne puiser qu’avec précaution. Nos jongleurs n’avaient sans doute pas souvent l’occasion d’assister à ces engagements de cavalerie qui sont les batailles du moyen âge, et d’ailleurs un combat de ce genre n’est pas facile à observer, même pour un œil exercé. Aussi les descriptions de batailles qui leur servaient à allonger leur matière sont-elles, en général, fort éloignées de la réalité. Leurs batailles consistent, le plus souvent, en une suite de combats singuliers racontés avec les détails les plus invraisemblables. Le désordre était grand, sans doute, mais il ne pouvait pas être tel qu’ils nous le représentent. Ils n’avaient d’ailleurs aucune idée de la puissance des coups portés ni des effets des blessures qu’ils se plaisent à décrire. À tout instant, il est question de gens pourfendus jusqu’à la ceinture, de bras et de jambes tranchés d’un coup d’épée. Ce sont là des blessures qui, dans la réalité, devaient être infiniment rares. En fait, nous savons que, dans les combats du moyen âge, on se faisait beaucoup de prisonniers, mais qu’on se tuait très peu de monde. Les assauts de villes fortifiées devaient être meurtriers, mais les chevaliers ne s’en mêlaient guère : c’était affaire aux sergents et aux ribauds. Les auteurs de chansons de geste nous représentent des chevaliers désarçonnés se remettant en selle après avoir perdu un bras, ou continuant à parler et à combattre alors que la cervelle sort de leur crâne entr’ouvert. Tout cela dénote un bien grand défaut d’observation.

Au contraire, dans Girart de Roussillon, les des-