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introduction

serve le prestige mystique attaché à celui qui a été oint et sacré. Le poème, en ses dernières pages, nous en offre une preuve qui est le commentaire en action du mot célèbre attribué à Louis VI : « On ne prend pas le roi, aux échecs. » Dans son dernier combat contre Girart, le roi est renversé de son cheval. Il eût été tué, peut-être sans être reconnu, lorsque Fouque, le cousin et l’allié de Girart, survient, met pied à terre, fait monter le roi sur son propre cheval, et protège sa fuite (§ 625)[1]. Du reste, il arrivait fréquemment que le roi, pour combattre plus librement, sans devenir le point de mire de toute l’armée ennemie, échangeait ses armes avec celles d’un de ses hommes. Dans un des combats racontés par notre poème, nous voyons (§ 82) que Charles avait pris le heaume et le haubert d’un simple soudoyer. L’histoire fournit beaucoup d’exemples de cet usage. Du Cange en a réuni quelques-uns dans une de ses notes sur Anne Comnène[2], auxquels on peut joindre ceux que j’ai cités dans une note de mon édition du poème de la Croisade albigeoise[3].

Le pouvoir royal est loin d’être absolu comme il le deviendra peu à peu vers la fin du régime féodal. Ce

  1. Ce respect de la personne royale pourrait être constaté par maint autre témoignage. Ainsi dans Raoul de Cambrai (éd. de la Soc. des Anc. Textes, tirade cclxiii), le roi vient d’être désarçonné par Ybert de de Ribemont. Aussitôt Bernier, le fils de celui-ci, détourne son père de continuer le combat : Se m’en creés, ja iert laissié atant ; | S’il nos assaillent bien soions deffendant. Et Ybert se range à son avis. Cf. ibid., cccxxxii. Voir aussi la scène de Charles et de Renaut, dans Renaut de Montauban, éd. Michelant, p. 287.
  2. À propos d’un passage du livre XIII, p. 401, de l’édition du Louvre ; Historiens grecs des Croisades (Académie des Inscr. et Belles Lettres), II, 97.
  3. II, 165.