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xlix
iii. — l’ancienne et la nouvelle chanson

entre pour se coucher. Elle vit le duc triste et sombre, et commença à soupçonner quelque malheur : « Sire, tu n’es pas ainsi d’ordinaire. — Dame, promets-moi une chose. — Tout ce que tu veux, mais dis-moi la vérité. — Ne laisse pas paraître ta douleur pour ton fils : il est couché mort dans le puits de pierre ; fais le retirer et porter au moutier ! » La comtesse ne put supporter cette nouvelle ; elle s’évanouit. Le comte la releva, la fit asseoir : « Dame cesse de t’affliger. Puisque Dieu n’a pas voulu laisser vivre notre fils, faisons de lui (Dieu), s’il lui plaît notre héritier. Mieux vaut lui donner que garder à notre profit. — Dieu t’en donne le pouvoir et le loisir ! » répond la dame.

Il est impossible d’exposer en moins de paroles une scène aussi complexe. Il n’y a pas un mot de trop, mais aussi chaque mot porte. Les sentiments de l’assassin avant et après le crime, la douleur de Girart, l’inquiétude de Berte, son épouvante, tout cela est représenté avec une netteté que la concision du récit fait mieux ressortir que ne ferait une longue analyse psychologique. La scène n’est pas décrite : elle est mise sous nos yeux.

Ce talent de faire sentir beaucoup en disant peu reparaît en tant d’endroits du poème que je me confirme de plus en plus dans l’idée que le renouveleur a bien souvent modifié la teneur des récits du vieux poème perdu. Sa marque se retrouve là même où on peut croire qu’il n’a pas eu à innover dans le fond. Ainsi ce passage, où est décrit avec une si puissante concision le retour des guerriers victorieux, est tout à fait dans sa manière :

197. La bataille est gagnée et la lutte terminée. Girart est revenu du combat, avec lui mille chevaliers de ses privés. Ils ont perdu leurs lances ; leurs épées sont ébréchées. Ils les portent nues, ensanglantées ; elles ne rentreront au fourreau qu’après avoir été lavées, fourbies avec un linge et essuyées.