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iii. — l’ancienne et la nouvelle chanson

l’on pourrait tirer à la fois une confirmation des vues ci-dessus exprimées et une notion quelconque sur la personne du renouveleur ? Voici ce que je remarque de plus saillant à cet égard. Ce sont deux faits seulement, mais qui me paraissent avoir une certaine valeur. D’abord, on voit le pape jouer dans ces deux parties de la chanson un rôle considérable. C’est lui qui, tout au début, décide, par sa prédication, le roi de France et ses barons à marcher au secours de l’empereur de Constantinople, assailli de tous côtés par les païens ; c’est lui encore qui, à la fin du poème, réconcilie définitivement le roi et Girart. Le second fait, moins important en lui-même, est peut-être plus caractéristique. Le poète parle de Constantinople comme s’il y avait été, de l’empereur comme s’il l’avait vu : « L’empereur a la tête chenue. Jamais je n’ai vu, jamais je ne verrai si beau vieillard. Il a sens, largesse et abord agréable » (§ 21). La note personnelle, si rare dans les chansons de geste, est ici très sensible. Or, à la fin du poème, l’auteur, après avoir raconté à propos de la fondation de Sainte-Sophie une légende qui semble avoir été recueillie à Constantinople même, fait dire à un de ses personnages : « J’ai vu le moutier de Sainte-Sophie, et je ne crois pas qu’il y ait jamais eu ni que jamais il y ait le pareil » (§ 654). Il me semble que ces divers passages doivent avoir été écrits par le même homme, et que cet homme avait été à Constantinople. Y a-t-il là un élément à l’aide duquel on puisse dater le renouvellement du poème avec quelque précision ? Je n’oserais l’affirmer. Les rapports entre l’Occident et Byzance ont été très fréquents pendant toute la durée des croisades, et il serait vain de chercher à quel moment du xiie siècle un jongleur de France a pu se trouver à