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girart de roussillon

salués et leur a donné la lettre de la reine, et Fouque en donna lecture à Girart : « Selon ce que dit cette lettre, tes ennemis ont mandé et assemblé une troupe nombreuse : on l’évalue à vingt mille chevaliers. Demain ils seront tous réunis à Troyes. Maintenant, mande à la reine ce que tu veux faire. » Le pape, qui était sage, dit : « Fais en sorte que les plus irrités contre nous aient les torts de leur côté. — Je vous dirai, » dit Girart, « ce que j’ai pensé : c’est de fonder trois[1] abbayes, dotées de mes alleus héréditaires. — Et moi, » dit Fouque, « j’en fonderai sept[2] de mes biens patrimoniaux. » Ils l’ont ainsi écrit et scellé, et firent au messager, lorsqu’il prit congé, un présent, dont il les remercia et leur sut gré. Au matin, on sonna les grêles[3] par l’ost. Ils chevauchent en armes, avec un grand convoi de vivres, et prennent leurs logements par les prés sous Islei[4]. Les royaux étaient à Troyes, hors de la cité, ayant établi leur camp le long de la Seine. Sept mille d’entre eux sont sortis, sans le congé du roi, pleins d’orgueil, de vantardise, d’outrecuidance. Ils vont assaillir l’ost de Girart et en ont tué ou blessé je ne sais combien. Mais ceux de l’ost sont tout excités et irrités ; ils montent à cheval et chargent avec énergie. Force passe droit et paît le pré[5]. Les hommes de

  1. Treiz abeïes, Oxf. Ce pourrait être « treize, » d’autant plus qu’il y a vint dans P. (v. 8206).
  2. « Dix, » selon P. (v. 8207).
  3. Sorte de petit cor.
  4. Leçon de P. (Yslei, v. 8214), Oxf. Chastel ; cf. § 632. Il s’agit vraisemblablement d’Isle-Aumont, cant. de Bouilly (Aube), où se trouvait anciennement un château-fort. Ce lieu, sur lequel on a des témoignages depuis le viiie siècle (voy. le Dict. topogr. de l’Aube, de MM. Boutiot et Socard), est situé sur la rive gauche de la Seine, à une dizaine de kilomètres au sud de Troyes.
  5. Oxf. Granz efors prent justize e pais lo prat ; au lieu de prent, il y a vens dans P. (v. 8223). Deux proverbes sont ici réunis : 1° « Force passe droit, » Le Roux de Lincy, Livre des proverbes, II, 300 ; 2° « La force paît le pré, » proverbe très répandu au moyen âge,