620. Il y avait là un baron, Gui de Risnel[1], que Girart tenait pour le plus fidèle de ses hommes. Il était son serf[2] et son sénéchal pour maints châteaux. Les paroles de Girart ne lui firent pas plaisir : il eut peur de voir la guerre recommencer, et le duc se révolter follement contre le roi[3]. Il promit à l’enfant un oiseau d’or, le prit entre ses bras sous son manteau, le porta dans un verger sous un arbre, lui étendit le col comme à un agneau, et lui trancha la gorge avec un couteau. Il le jeta, une fois mort, dans le puits de pierre, monta à cheval et partit au galop. Une fois sorti, il s’arrêta sous un ormeau, et, levant les yeux au ciel, il s’écria : « Ah ! traître et félon que je suis ! Je suis pire que Caïn, le meurtrier d’Abel. Pour l’enfant, je livrerai mon corps à la mort. » Il descendit à la grande salle sous le donjon, et trouva le duc dans la chambre, près d’une cheminée. Il lui tendit l’épée par le pommeau en lui contant de quelle façon il avait tué de ses mains le franc damoisel.
621. Le jour s’en allait, c’était le soir, et le lendemain le comte devait se mettre en marche avec l’ost. Gui lui tend l’épée par la poignée : « Comte, fais de moi justice à ton plaisir. J’aime mieux mourir, pendu ou brûlé, que de te voir recommencer cette guerre. » Le comte est désespéré : « Fuis d’ici, traître, je ne puis plus te voir ! » Il appelle son chambellan don Manacier : « Fais sortir et taire tout le monde. » La comtesse entre pour se coucher. Elle vit le duc triste et sombre, et commença à soupçonner quelque
- ↑ Maintenant Reynel, Haute-Marne, arrondissement Chaumont, canton d’Andelot. Plusieurs des seigneurs de Reynel sont connus ; cf. Longnon, Livre des vassaux, pp. 274-5.
- ↑ Encore un exemple de serf élevé au-dessus de sa condition originaire, et payant son maître d’ingratitude ; cf. p. 28, n. 2.
- ↑ Je traduis littéralement, mais il faut convenir que le texte est rédigé avec une bien grande négligence : car l’état de guerre existe déjà, et Girart ne fait que se défendre. D’ailleurs on ne voit pas bien comment le cours de la guerre sera arrêté par la mort du jeune enfant.