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girart de roussillon

trésor, je ne donnerais pas un michelat[1]. Dieu ! pourquoi un riche homme voudrait-il vivre à l’écart, loger en son cœur la mesquinerie ! Il faudrait avoir le cœur bien bas pour consentir à se séparer d’un tel baronnage ! Ce n’est pas de mon gré que je m’en séparerai, maintenant que je l’ai recouvré. Peu s’en fallait que les faux tonsurés ne m’eussent assoté par leur prédication[2] ! » À ce moment, il vit venir à lui son fils qu’il aimait tendrement[3] : il était blond, et portait un bliaut neuf de soie. Il n’avait encore que cinq ans. On ne vit jamais plus bel enfant de son âge. C’était tout le portrait de son père. Girart le prit entre ses bras et le baisa. Ah Dieu ! pourquoi le perdit-il, quel crime ce fut !

619. Le comte Girart se tenait en sa salle. Il portait son petit enfant entre ses bras, et jura Dieu et ses vertus que jamais à nul jour l’enfant ne serait déshérité. « Et celui qui augure qu’il sera moine, est un homme mauvais. J’aime les chevaliers et les ai toujours aimés, et si longtemps que je vive, c’est par leurs conseils que j’agirai. Je donnerai volontiers, car j’ai de quoi. Pendant trop longtemps je me suis humilié, mais désormais on ne me verra plus faire des avances à mon ennemi ; au contraire, j’écraserai les misérables outrecuidants. » Ces paroles furent relevées et répétées par les preux chevaliers, les damoiseaux de prix. Il se réjouissait en voyant son fils, mais il ne savait pas le malheur qui l’attendait.

  1. « Un œuf couvé » P. (v. 8089). Les michelats étaient une monnaie byzantine ; voy. Du Cange, michaelitæ.
  2. On ne voit pas bien à quel épisode de la vie de Girart l’auteur veut faire allusion ; ces paroles se rapporteraient assez mal au temps où Girart, retiré du monde, accomplissait sa pénitence. On peut croire que l’auteur n’a pas d’autre but que de justifier par le mouvement d’orgueil qu’il prête à Girart, le malheur qui va lui arriver.
  3. Le second des deux fils mentionnés au § 608, le premier étant mort en bas âge.