hâte de conduire Girart dans sa meilleure chambre. La reine y entra pour voir sa sœur, tandis que son escorte restait au dehors. Je ne vous conterai pas la douleur, les pleurs, les paroles qu’il y eut entre eux : la reine ne s’éloigna qu’au jour.
543. Ce fut le jour du vendredi saint. La reine appelle l’évêque Augis : « Sire, pour Dieu, priez le roi et ses amis de faire grâce à ces malheureux qu’il a déshérités et réduits à la misère, qu’il pardonne toute rancune à ses ennemis, à tous ceux, morts et vivants, à qui il en veut. » L’évêque fait à sa volonté et parla à Charles en homme habile. Avant d’adorer le bois de la croix où Dieu fut crucifié, le roi lui octroya toutes ses demandes, et accorda le pardon qui lui était demandé. La reine envoya dire chez Bienassis que Girart peut changer ses larmes en rires joyeux, car un jour sa terre lui sera rendue.
544. Le lendemain fut le samedi, veille de Pâques : le roi était baigné, tondu et rasé. La reine avait revêtu des pailes de soie tels que jamais on n’en vit meilleurs, soit rouges, soit foncés. Elle s’approcha du roi et doucement elle lui dit : « Sire, écoutez un songe qui ne se vérifiera pas. Cette nuit, avant le jour, il m’a semblé voir le comte Girart venir par une route, entrer ici dedans par cette porte, et jurer sur les saints, comme homme loyal, que jamais, tant qu’il vivrait, il ne vous viendrait par lui trouble ni mal. Ta salle était tendue de dossiers[1] neufs, de pailes, de tapis, de housses, et il était le puissant sénéchal de ta cour. — Hé Dieu ! » dit le roi, « que ne l’est-il ! Je voudrais qu’il fût vivant et sain et sauf. Et pourtant il m’a fait une mortelle guerre, et m’a causé, à moi et aux miens, mille douleurs poignantes !
545. — Sire, » dit la reine, « accordez-moi un don : c’est que j’envoie savoir s’il est vivant ou non. Car, l’autre jour,
- ↑ On appelait ainsi, jusqu’au xviie siècle les grandes tentures de murailles ; Du Cange, dorsale ; Cotgrave, dossier de pavillon.