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girart de roussillon

536. Le comte Girart se décida promptement : pour rien au monde, il n’eût manqué de se lever de bon matin. Il a ouï la messe à Saint-André et a prié le saint et le seigneur Dieu : « Roi du ciel, inspire à mon seigneur de me pardonner sa colère, lui et les siens, afin qu’il me rende mes terres et mon fief. » Puis il se mit en chemin : il le fit avec peine. Le jeudi de la Cène, sous l’apparence d’un pèlerin, il entra à Orléans et se logea chez l’hôte Hervieu.

537. Hervieu l’hôtelier était un homme âgé. Il s’adressa à Girart et lui dit doucement : « D’où êtes-vous, ami, de quel pays ? Allez à la cour... et priez la reine de vous vêtir. — Par Dieu ! » dit Girart, « je n’en suis pas appris. — Sire, » dit la comtesse, « soyez avisé, et ne vous troublez pas, doux cher ami, mais trouvez moyen de lui parler. » Là est allé le comte, bien malgré lui. Girart s’assit parmi les autres pèlerins. À ce moment, voici Aïmar, clerc de Paris ; et quand il vit Girart, il lui fit un sourire affecté : « Voyez-vous ce truand à la tête grise ? En voilà un qui pourrait bien gagner de quoi subvenir à ses besoins ! » Alors Girart eut peur d’être reconnu, et ne se sentit point sûr de s’en aller vivant. Le clerc s’approcha de lui, et le prenant par le poing : « Sire vilain vagabond, que venez-vous chercher ici ? Si la pensée de Dieu ne me retenait, je vous frapperais. » Et il le fit lever et sortir du rang. Girart fut bien content lorsqu’il l’eut lâché, et vint à la comtesse et lui dit : « Péché nous a menés en ce pays.

538. — Sire, » dit la comtesse, « sais-tu ce que j’ai à te dire ? Pour Dieu, ne te trouble pas ainsi, car j’ai un bon conseil à te donner : demain sera le vendredi que l’on consacre à Dieu[1] ; cette nuit la reine va en visite au moutier, et, quand elle y sera, vas-y ; baille-lui cet anneau que je te remettrai : elle te l’a donné de cœur sincère, avec son amour, en présence de Gervais, du gonfalonier de France

  1. Le vendredi saint.