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girart de roussillon

481. Charles leva les yeux vers le ciel pour implorer Dieu : « Seigneur, » dit-il, « fais qu’aujourd’hui je me venge ! » Puis : « Dis-moi, combien sont-ils de chevaliers ? Peux-tu en estimer le nombre ? — Je n’ai pu les voir tous ni m’en faire une idée, mais seulement de soudoyers achetés il y en a quatre mille ; je les ai vu compter. Depuis hier matin à l’aube, Girart n’en a pas fini de leur donner de l’argent. Il a donné ordre à sa mesnie et se revêtir d’armes vermeilles. Je l’ai entendu hier, lui et Boson, se vanter[1]. Ils comptent bien d’ici peu vous chasser au loin. — Dieu me soit en aide ! » dit Charles. « Si je ne puis le dépouiller de sa terre, je renonce pour toujours à porter la couronne. » Il manda sa mesnie pour lui adresser des exhortations, Pierre[2], Aimon[3] et Aimar[4], qui l’avaient quitté la veille au soir. Il envoya un chevalier convoquer ses barons au conseil.

482. Charles manda ses hommes pour prendre conseil : « Seigneurs, écoutez-moi, et qu’on ne dorme pas[5]. Maudit soit le trésor qui luira à mes yeux, si mes fidèles hommes n’y ont part ! Je vous dirai comment Girart se réveille. Il

  1. C’était, au moyen âge, l’usage des chevaliers de se vanter, le soir, après boire, de leurs futurs exploits. Qu’on se rappelle la scène des gabs dans le Voyage de Charlemagne à Jérusalem, et ci-dessus un passage du § 307. Le même usage est constaté dans les romans chevaleresques de l’Italie ; voir les textes cités par M. Vitali dans sa préface du Cantare di Madonna Elena imperatrice (Livorno, 1880, per nozze), pp. 17-8. Ces bravades ont été souvent tournées en ridicule par les contemporains ; voir les textes cités par M. Tobler dans sa dissertation sur le proverbe : « Plus a paroles en plein pot de vin qu’en un mui de cervoise », Zeitschrift für romanische Philologie, IV, 80.
  2. Pierre de Mont-Rabei. On a vu, au § 385, qu’une blessure l’avait mis hors de combat pendant cinq ans ; mais, depuis lors, cinq années se sont écoulées ; voy. § 416.
  3. L’un des neveux de Thierri, voy. §§ 107, 213 ; l’un de ses fils, selon le § 184.
  4. Personnage qui n’a pas encore été mentionné.
  5. Le conseil avait lieu la nuit.