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girart de roussillon

449. Le fils de Drogon[1] s’en allait battu : personne ne répondait au cri de son enseigne[2] : il portait baissé son gonfanon, dont les franges étaient ensanglantées ; il avait tourné les rênes vers Dijon, quand voici venir le comte Boson, avec lui mille chevaliers d’Escarpion. Il cria l’enseigne de Mareston, et dit au comte Girart : « Frappez ferme ! » Le comte reprit courage : plein de joie, il cria aux siens : « Chargez, barons ! Malheur sur le roi et les siens, Normands, Français et Bretons ! »

450. Don Boson d’Escarpion vint par le champ. Il était largement fourché[3], mince de taille : on ne peut souhaiter plus beau chevalier. Son heaume et son haubert étaient d’une éclatante blancheur ; il avait ceint une épée vieille et bien tranchante ; l’écu suspendu à son col était d’os d’éléphant[4], tel que jamais vous ne vîtes si fort et si léger. Il chevauchait un coursier gris et avait fixé à sa lance une oriflamme. Il poussait le cri Mareston ! Mareston ! et allait élevant[5] l’enseigne de Girart, abaissant celle de Charles, et renversant maints bons chevaliers. Il demandait Hugues le duc de Broyes ; celui-ci, l’ayant entendu, sortit des rangs, et ils se frappèrent avec une telle violence qu’ils se trouèrent les hauberts et les....[6]. Ils s’enfoncent mutuellement de leurs

  1. Girart.
  2. Cf. § 195.
  3. C’est un trait qu’on n’omet guère au moyen âge quand on veut décrire un homme solidement bâti ; nous le verrons reparaître dans le portrait de Girart, au § 488. La furcheüre ad asez grant li ber, est-il dit de Baligant dans Rolant, v. 3157 ; et de même l’Alexandre d’Alberic de Besançon a Lo cors d’aval ben enforcad ; cf. Tobler, dans la Germania, II, 442.
  4. Les écus sont ordinairement de bois et de fer, et recouverts de cuir ; parfois ils sont faits d’os de poisson de mer (Blancandin, vv. 1199-1200 ; Alexandre, version décasyllabique, v. 374, « poisson » désignant ici quelque grand cétacé ; enfin, il est fait mention exceptionnellement d’écus en os d’éléphant, c.-à-d. en ivoire ; c’étaient les plus précieux (Blancandin, vv. 258, 4109 ; Alexandre, éd. Michelant, 40, 29, etc.).
  5. Au figuré.
  6. Auuant ; p.-ê. un dérivé d’alvea, alva, partie de la selle.