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girart de roussillon

dre par votre faute un comte de sa valeur. Le comte est preux et puissant, vous le savez, et peut vous faire plus service que ne font les dix meilleurs de vos hommes.

356. — Don Begon, sa grande valeur n’est que de la malice, et sa puissance n’est que dommage et misère. Il m’a tué ou blessé cent mille hommes, il a ravagé et dévasté mon royaume. Il y a tels cent mille hommes de ses chasés[1] à qui il a fait de grands outrages, alors qu’il était en paix ; je suis maintenant leur seigneur ; je leur donne largement, et je les tiendrai[2] tous en honneur, s’il plaît à Dieu. — C’est là tort et grand péché, » reprit Begon, car le comte n’a commis envers vous aucune faute pour laquelle il ait forfait son héritage.

357. — Eh bien ! Begon, que me diras tu de ceci ? Ici Girart s’est mis dans le cas de Judas, quand, après avoir mangé et bu avec moi, dans mon hanap, le même jour il a tué Thierri, comme un satan ! Je le lui ferai payer cher, tu le verras. Et déjà je l’ai un peu tondu et rasé sans eau : je l’ai mis en arrière de deux cent mille hommes, car en Gascogne il ne lui reste plus château ni maison. »

358. Don Begon s’avança pour mieux répondre : « Sire, avant de le mettre en demeure de vous faire droit, vous avez saisi son fief, brûlé ses cités, ruiné ses châteaux. Mais vous n’arriverez pas de sitôt à l’abattre au point de le voir mat et réduit à se cacher, car jamais vous n’aurez vu homme si dur à tondre !

359. — Ils n’auront pas la chair ni le corps si durs, lui ni Boson ni Fouchier, les trois satans, que je ne leur fasse dommage, si je puis, en récompense de leur inimitié. On disait que nous étions parents : oui, bien sûr, dans la lignée d’Adam ! Si j’en pouvais tenir un en mes liens, je ferais bien voir comme je les aime ! Leur

  1. Voir p. 53, n. 2 et 70 n. 4.
  2. Tenir un vassal, au sens féodal, être son suzerain.