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girart de roussillon

vous de pis. Mais, par le Dieu qui vous fait vivre[1], si vous ne déposez l’orgueil, la hauteur, l’injustice, la mauvaise foi qui sont en vous ; si vous ne faites entrer en votre cœur la pensée de Dieu, qui, tandis que vous vivez, vous tient en honneur ; si vous ne servez pas mieux Charles, votre seigneur, vous perdrez vos grandes possessions : de cent mille hommes il ne vous en restera pas dix, de votre grande terre, pas une cité ni une ville. — Par mon chef ! » dit Fouque, « vous dites vrai ; et si vous avez dit une parole fausse, maudite soit-elle !

266. « Il est une chose », dit Fouque, « qui m’afflige beaucoup : vous êtes là à écouter, et vous ne comprenez rien. Tu traites Charles de mécréant, tu sais, dis-tu, qu’il veut te trahir. Alors mande tes hommes et tes parents, donne-leur des châteaux, des fiefs, des hauberts, des chevaux, des équippements ; mais ne laisse pas pour cela de lui offrir le droit. Si, par sa folie, il ne le veut prendre, que celui qui te fera défaut soit considéré comme lâche, et toi comme un sot et un poltron si tu ne le lui fais payer cher ; car, si Dieu t’aide, et si le droit est avec toi, ni Charles ni les siens ne te pourront vaincre. »

267. Boson entendit ces paroles avec peine. Il se leva et prit la parole : « Fouque, ne parlez point ainsi : ce n’est pas là un conseil digne, et il ne convient pas que mon seigneur s’y conforme. Mon avis serait, si Charles voulait venir près d’ici, que nous allassions nous expliquer librement avec lui. J’irais disculper mon seigneur, et je ne crois pas qu’il y ait chevalier qui ose, pour son droit[2], frapper mon écu[3]. — Nous pouvons nous en tenir à cet avis, » dit Gi-

  1. Ou peut-être « en vue de qui vous vivez », per pouvant signifier « par » ou « pour » ; cf. dans le poëme de Boëce per cui vivre esperam, v. 3.
  2. « Pour son droit » pourrait s’entendre du droit de Charles, dont ce chevalier se constituerait le champion.
  3. C'.-à-d. combattre contre moi. Il se pourrait qu’il y eût ici une