Page:Meyer - Girart de Roussillon, 1884.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
girart de roussillon

sauts par le pré fleuri, suivi de ses hommes. Thierri s’écrie : « Allons, vieux hibou moisi[1] ! vous avez donc renoncé à la chevalerie, qu’on vous voit enfoui parmi les vôtres ? » Et Drogon répondit : « Me voilà tout prêt ; je n’aime pas ceux qui me menacent (?). » Il pique le cheval qui bondit. Voilà les deux chevaux près l’un de l’autre. Ils se férirent de telle manière que leurs écus sont brisés et les haubercs faussés et défaits. Voilà Drogon du coup mort et fini[2], avec une aune de la lance de frêne dans le corps, la pointe et le gonfanon sortant de l’autre côté. Thierri se détourna heureusement : il eut son écu et son hauberc cousus ensemble par la lance de Drogon, mais Dieu le protégea, et il ne fut pas touché en chair. Drogon se retire vers les siens qui sont désolés, et voici Thierri hors de la rivière et dans la plaine[3]. Leurs échelles se joignent avec tant d’ardeur que vous eussiez vu trouer les écus, ouvrir les poitrines, couper les têtes armées du heaume, abattre pieds, poings, oreilles. La claire eau de l’Arsen en était couverte, et devint rouge du sang des morts. Les hommes de Drogon avaient bien disposé leur attaque. Si leur seigneur n’était mort, ils étaient sauvés ! Thierri se voit perdu : de vingt mille hommes, il ne lui en reste pas mille.

152. Manceaux, Angevins et Tourangeaux[4] étaient auprès de Charles au nombre de vingt mille. Les blancs hauberts vêtus, les heaumes lacés, la tête baissée, ils marchent dis-

  1. Oxf. veil chaumesit, P. (v. 1938) vilh cau musit. Une interprétation toute différente de ce passage, mais évidemment fautive, a été donnée par M. Bartsch, voy. Romania, IV, 131. M. Chabaneau (Rev. des langues romanes, VIII, 228, prend chau ou cau pour caput, « tête blanche », mais cau, de caput, serait une forme bien exceptionnelle dans ce texte.
  2. Pas tout à fait mort, car on va le voir s’en retourner avec ses hommes.
  3. Il avait, paraît-il, traversé la rivière d’Arsen, après son combat singulier avec Drogon.
  4. Toloignaz Oxf., plus loin, § 155, Toloignac, P (v. 1966) Toronjatz.