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girart de roussillon

de cent mille, si je ne mens point ; ses veautres[1], ses lévriers, ses...[2], ses ours, et ses broons[3], le tout par mauvaise intention ; il lui a enlevé de Roussillon la tour et la roche. Girart a fait ce qui était juste : il a vaincu le roi en bataille. Désormais riche homme ne doit pas se fier à un serf[4]. Si grand bien qu’il lui fasse, il en sera trahi. »

110. Don Enguerrant parla debout, doucement, avec calme et sans détour : « En ma foi, sire roi, je ne sais rien vous dire, sinon qu’après que vous avez jeté Girart en bas de la montagne, s’il a réussi à y remonter, on ne peut l’en blâmer. Or, considérez comme il se comporte en comte franc et loyal : il vous envoie Fouque, son riche captal, le meilleur chevalier et le plus loyal qu’il y ait en France, en Auvergne, en Poitou. Sous le ciel il n’y a, les armes à la main, plus vaillant guerrier, car il est bon à pied et à

  1. Voy. p. 20, note 2.
  2. Pudenc Oxf., pradenc P. (v. 1159), chien pour la chasse en plaine (prat) ?
  3. Leos P. (v. 1160), ce qui paraît une correction arbitraire. Le broon, brohon, broion est fréquemment nommé dans nos anciens poëmes et désigne certainement un jeune ours. Dans Rolant, Charlemagne songe qu’il tient un brohon enchaîné, et voilà que des ours viennent le lui réclamer, disant : « Nostre parent devons estre a sucurs » (v. 2562) Il est donc légitime de rapprocher le broon d’un passage de Grégoire de Tours (Vitæ Patrum, ch. xii ; éd. Ruinart, p. 211) rappelé par Du Cange (s. v. bracco) où il est dit, à propos du nom propre Bracchio « quod [nomen] in eorum lingua interpretatur ursi catulus. » Le contexte montre que « eorum lingua » désigne ici la langue des Arvernes. Ce nom serait donc d’origine celtique. On trouvera dans la Zeitschrift f. romanische Philologie, II, 172-3, de nombreux exemples du mot broon. Sainte-Palaye, ayant en vue ce passage de Gir. de Rouss., a supposé (Mém. sur l’anc. chevalerie, éd. Nodier, II, 251) que les animaux sauvages que Charles emmenait avec lui faisaient partie de son équipage de chasse : il est plus probable qu’ils étaient destinés à l’amusement du roi et de sa cour.
  4. Je traduis d’après P. mai hui sirvenc (v. 1164) ; le sens de mestiz sebenc Oxf. m’échappe. Ces derniers mots font allusion à la trahison de Richier de Sordane ; voir plus haut, §§ 59-61.