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girart de roussillon

château comme il est construit, comme il est cimenté depuis la base, il verrait mes étangs dans les bois fleuris, il verrait mes damoiseaux que j’ai élevés ; je craindrais qu’il me portât envie, et je demeurerais sot et ébahi.

53. « Je te dirai plus encore, Bernart, » dit Girart, « quand il verrait ma salle resplendissante, toute de pierres de taille habilement appareillées, et l’escarboucle étincelante qui fait qu’à minuit on se croirait à midi[1], je craindrais que Charles le convoitât. Mais il me tuerait avant que je le lui abandonne. Il m’assiégera, comme tu dis, mais il ne me prendra pas tant que je vivrai. Grand tort me fait le roi quand il m’attaque sous un prétexte aussi fou. »

54. Au dernier mot, Girart dit sa pensée : « Roussillon a toujours été l’aleu de mon père. Notre empereur[2] me l’a ainsi octroyé avec tout le reste de ma terre jusqu’à Saint-Faire : jamais le fils de ma mère ne lui en fera service ! Le château est fort, le mur en pierres de taille ; je ne le tiens pas de lui, et je ne lui manque pas de foi. Il ne saurait me retirer aucun de mes chevaliers. J’ai quatre vaillants neveux tous frères : le moindre d’entre eux est capable d’aller le honnir, si je le veux, à Laon, sa résidence.

55. « Bernart, » dit Girart, « maintenant va-t’en, et dis au roi qu’il agit très mal, car, de la Loire jusqu’ici, je tiens tout le pays en aleu. Je n’irai point à son jugement tant que je vivrai ; et puisse Dieu ne me point laisser voir le mois de mai, si avant ce temps je ne commence telle entreprise où je pourrai bien perdre du sang, plutôt que

  1. C’était une croyance généralement répandue que l’escarboucle possédait par elle-même un pouvoir éclairant. Ainsi, le palais qui est décrit à la fin de la célèbre lettre du Prêtre Jean était illuminé par des escarboucles : « Nec foramina nec fenestre sunt in palatio, quia satis videmus intus ex claritate carbunculorum et aliorum lapidum », édit. Zarnke, dans les comptes-rendus de la Société royale de Saxe. 1877, p. 153. Cf. encore Floire et Blancheflor, édit. Du Méril, p. 24.
  2. Charles Martel lui-même, voy. § 33.