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girart de roussillon

longtemps. Au temps où elle commença, la lune était en son plein.

46. Charles est envieux plus qu’aucun homme. Vous ne vîtes onques roi si orgueilleux. Ils se logent sous Roussillon, dans les prés herbus, et font tendre soixante deux[1] tentes, chacune est surmontée d’une pomme d’or resplendissante, les chevaux, au piquet, paissent l’herbe couverte de rosée. Le roi vit avec convoitise le château, et, jurant le nom de Dieu glorieux : « Si j’étais là-haut, » dit-il, « comme je suis ici-bas, Girart ne serait pas un comte puissant ! » Il y avait là un jeune damoiseau qui lui répondit un mot vif : « À moins, sire, d’y employer la trahison, votre tête noire deviendra rousse avant que vous lui ayez enlevé de terre un plein gant. Je sais Girart si habile à la guerre, qu’il se soucie de vos attaques comme d’un tronçon de lance. »

47. Quand Charles Martel entendit qu’il ne pourrait avoir le château que par trahison, il appela un de ses damoiseaux, Bernart, le fils de Pons de Tabarie[2] : « Bernard » dit-il, « va de ma part auprès de Girart, et invite le moi à me rendre la seigneurie du château, je lui en laisserai la donzelia[3]. Et s’il n’y consent pas, s’il me refuse, avant quarante jours, je lui montrerai une ost où il y aura cent mille chevaliers de Lombardie[4], sans compter les Grecs, les Romains et ceux d’Hongrie, les Écossais, les Anglais, guidés par Amailes[5] de Ranchopie dont le père a été tué par Milon

  1. « Deux » est là pour la rime.
  2. Nom qui ne peut être qu’un souvenir des croisades ; voy., sur les princes de Tabarie et de Galilée, les Familles d’Outre-mer, de Du Cange, p. 443 (dans les Documents inédits).
  3. C’est à-dire la jouissance avec le titre de « donzel », en français « damoisel ». Le titre de damoiseau était attaché à certaines seigneuries ; voy. le P. Daniel, Histoire de la milice françoise, I, 130 (l. III, ch. vi.)
  4. On sait que ce nom désigne très-souvent au moyen âge toute l’Italie.
  5. Sic dans Oxf. ; Aracles, dans P. (v. 139), est peut-être préférable. Au temps où a été rédigé le poëme, le nom d’Eracle était bien connu.