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ii. — histoire de charles martel

d’icelluy lieu fist le noble duc fonder moisnes noirs jusques a cent, ainsi que racompte l’istoire, et y fist faire de moult beaux jardinages esquelz il prendoit moult grant plaisir, et souvent s’en alloit par iceulx desduire et esbatre, pour tant que il y faisoit joyeulx a merveilles et que le lieu estoit si trés delitable[1]. Et en celluy temps estoit le vaillant prince moult anchien, pour quoy il ne demandoit que l’aise et le repos. Si advint qu’il s’en ala ung jour esbatre et passer temps en icelluy jardin tant delitable. Et en oyant chanter les petits oisillons, en soy par illec pourmenant, entra en une pensée, et luy souvint de ses parens et bons amis quy mors estoient par la guerre de luy et de Charles Martel, et plus du conte Boos de Carpion que (vo) de nul autre, car tant l’avoit aymé que les lermes luy devalerent adont des yeulx. Et tellement eust le cœur destroit d’angoisseux courroux que il retourna vers l’ostel, et comme celluy quy plus ne peust avoir sa parole a delivre, requist a ceulx quy le menoient ou monstra par signe qu’il vouloit incontinent aler sur son lit reposer, et de fait y ala. Et lors vint illec la noble duchesse quy bien le cuida reconforter, mais il ne la fist fors regarder, car tant avoit le cœur serré qu’il ne pouoit avoir sa parole. Si fut la dame moult esbahie et non sans cause. Adont elle manda l’abbé qui la vint avecques de ses religieux quy bien et soingneusement le visitterent a leur pouoir.

A chief de piece, par vertu de certaines prieres que l’on fist illec, le noble duc recouvra sa parole et fist son ordonnance[2], en requerant estre confessé et avoir le corps de nostre Seigneur, lequel ne luy fut point reffusé. Et fin de compte, son derrenier jour estoit venu et convenoit qu’il passast de ce monde ; ne dist point I’istoire combien de jours après, mais bien racompte que l’on fist pour son ame le plus beau service que l’en peust faire[3], et fut enterré si solempnellement qu’on n’eust sceu mieulx. Et ainsi fini le noble et vaillant duc Gerard de Roncillon par ceste maniere, car il ne pouoit plus la mort eschever. C’est une

  1. C’est ici pour la première fois que nous voyons Girart représenté sous l’aspect d’un amateur de jardins.
  2. C’est-à-dire son testament.
  3. La chanson, du moins, ne dit rien des obsèques de Girart.