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Ma sensibilité ne touche plus personne ; ma gaîté ne se communique plus, & il y a bien trente ans que je n’ai vu sourire à la vivacité de mes enthousiasmes : que faire ? je critique. C’est alors mon jugement que j’expose ; c’est lui qu’on attaque, lui que je m’attache à défendre, & je suis encore quelque chose dans ce monde, quoique j’aie soixante-cinq ans.

Ne vous moquez pas de moi, ne riez pas de ce besoin d’agir que les hommes éprouvent si-tôt & gardent si peu ; que les femmes manifestent si tard & conservent si long-tems. Tout nous fait une loi de l’activité, & tout nous condamne au repos : ainsi, le délassement ne peut se trouver pour vous que dans l’inaction, & l’agitation devient l’ame de nos plaisirs. Toujours excitée, toujours réprimée, cette agitation retarde, pour notre esprit, les progrès de l’âge, qui, cependant, se grave sur nos traits. La tête d’une femme est jeune à cinquante ans ; celle d’un homme est faite à quarante. Vos facultés sont toujours entieres, & vos passions déjà vieilles ; & nous, privées d’une moitié de notre existence, nous sentons qu’il nous reste encore des passions à connoître.

Me voilà telle que je suis, franche de plus,