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risés à leur tour, lors de la Réformation, leur propriété devint celle de l’hôpital de la ville, qui y établit un intendant et une auberge. C’est dans cette auberge que Jean-Jacques demeura pendant deux mois de l’année 1765.

Jean-Jacques Rousseau, à cette époque, pouvait avoir quelque cinquante-trois ans ; mais, quoique cet âge le rendît encore relativement jeune, c’était déjà un vieillard, ruiné de santé, torturé par les conséquences physiques des vices de sa jeunesse. Quelque chose pourtant lui était resté de sa beauté première : la vivacité de son regard, tout nourri du feu de la pensée, et cette empreinte ineffaçable, que le génie imprime au front de ceux qu’il inspire. Du moins, ses brillantes facultés lui donnaient-elles quelques consolations au milieu de ses souffrances ? hélas ! il ne nous est pas permis de le croire. Brisé de corps, Jean-Jacques était encore navré dans l’âme ; à ses tortures physiques étaient venues se joindre les tortures morales.

Quand il vint habiter l’île, il était triste et découragé ; déjà il avait lancé dans le monde son Émile et son Contrat social, ces deux livres qui devaient être pour le monde comme l’évangile de la Révolution, et la France, que Louis XV vautrait dans la pourriture, avait répondu en l’expulsant de son territoire. Déjà il avait cru trouver la paix dans cette Suisse française, où il était né, où il avait aimé, où son père l’avait bercé, tout enfant, de la lecture saine et républicaine de Plutarque ; et Genève à son tour l’exilait pour ses Lettres de la Montagne. Alors il avait tourné ses regards vers le Nord, et il allait se rendre à la cour de Frédéric II, où l’attendait la puissante