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les derniers jours de bonheur, qu’il goûtera encore ici-bas. L’automne a couvert les flancs de l’île de sa riche végétation, les pampres du côteau montrent leurs grappes presque mûres, et annoncent que les derniers beaux jours approchent. L’ardente chaleur de l’été a disparu, et, sous les rayons du soleil, le lac réfléchit ses rives dans son azur tiède et clair ; et lorsque, du sommet de l’île, on promène son regard dans l’étendue, on tressaille d’admiration devant l’harmonie magnifique de ce tableau. Rousseau, dans ces derniers jours, profite encore de chaque rayon de soleil ; dès l’aurore, il parcourt l’île, en se laissant aller à la rêverie délicieuse, qui berçait son esprit. Quelquefois, dans ses promenades, les douces impressions de sa jeunesse, les Charmettes et son hôtesse adorée, repassent dans son esprit ; quelquefois sa conscience, étouffée par le sophisme, se réveille et lui reproche l’abandon de ses enfants ; mais, souvenirs heureux et sombres remords, que lui importent toutes ces voix du passé, et ne lui suffit-il pas de se livrer à la rêverie nonchalante et indéterminée de sa pensée, pour être heureux de ce bonheur relatif qu’il recherche !… Le soir, après ses éternelles promenades, il aimait à mener la petite colonie sur la terrasse de l’île, pour y respirer l’air du lac et la fraîcheur. On se reposait dans le pavillon, on riait, on causait. Jean-Jacques même chantait, de cette voix qui émerveillait les jeunes filles de Môtiers ; puis on allait se coucher, content de sa journée, et n’en désirant qu’une semblable pour le lendemain. Ce pavillon existe encore ; reconstruit en 1780, il rassemble, aux jours de fête, les paysans des villages voisins, qui viennent y danser aux sons de quelque orchestre am-