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trouve fort satisfait de la visite d’un bernois, M. Kirchberger, qui le surprend, cueillant des pommes sur un grand arbre ; car, ainsi qu’aux Charmettes, il aimait à s’occuper de la récolte des légumes et des fruits. Mais ce n’était plus le temps où l’adolescent, sur deux grappes qu’il cueillait, en mangeait une, pour faire enrager sa maman, comme il appelait Madame de Warens ; ni celui où, jeune homme rayonnant de santé, il s’ingéniait, du haut de l’arbre où il était perché, à envoyer un bouquet de cerises dans le sein de mademoiselle Galley, au moment où la délicieuse enfant reculait la tête en avançant son tablier : d’autres préoccupations, à présent, agitent sa pensée, celle de goûter, pendant le reste de ses jours, ce bonheur suffisant, parfait et plein, dont il a joui constamment, pendant les deux mois qu’il habita l’île. Et pour assurer la paix de ses dernières années, il descend jusqu’aux souhaits les plus humiliants ; il voudrait qu’on le confinât dans ce séjour, sans lui permettre jamais d’en sortir, et jette un regard d’envie sur Micheli Ducret qui, tranquille au château d’Arberg, n’avait eu qu’à vouloir être heureux pour l’être. Pauvre vieillard ! Dans les vicissitudes du sort, une seule chose donne ce courage stoïque, qui brave et surmonte tout : la conscience d’avoir mené une vie droite et austère, et de n’avoir pas failli à son devoir. Dans cette épreuve, ce n’est pas assez que d’avoir fait jaillir sur le monde la lumière de sa pensée ; il faut encore être un homme et un honnête homme, et qui ne l’a pas été n’a pas le droit de se plaindre.

En attendant que le philosophe entre dans cette crise douloureuse, qui ne finira qu’à sa mort, suivons-le dans